La manif du comité Traoré à Paris, c’est oui, la procession de la Lunade en Corrèze, c’est non !

De Gabrielle Cluzel :

« Si l’on ne devait retenir qu’un symbole, terrible et grotesque, de cette France à deux vitesses – celle que l’on verrouille et celle que l’on redoute – en cette période post-Covid, ce serait celui-là : la procession de la , à Tulle, a été interdite.

La Lunade, selon les mots du vicaire général du lieu, l’abbé Nicolas Risso, est « l’une des plus vieilles ostensions limousines et peut-être même de France ». Eu égard à son nom, et au culte que les Gaulois portaient à l’astre de la nuit, d’aucuns affirment que l’Église a pu, ici comme en d’autres endroits, sanctifier une cérémonie païenne dont elle n’avait pu obtenir l’abandon. Quoi qu’il en soit, en juin 1347, un moine du diocèse aurait eu une apparition de saint Jean-Baptiste lui commandant de défiler autour de la cité pour en éloigner la maladie. « La Lunade était née et la peste [avait] disparu. »

Il faut lire la description qu’en font les vieux livres, quelque part entre Sire et L’Anneau du pêcheur : « Après le coucher du soleil et dès que la lune paraît, à l’horizon, le clergé de la cathédrale et des trois autres paroisses de la ville, les confréries des pénitents blancs et bleus, les congrégations religieuses, suivis d’un nombreux concours de fidèle, sortent de l’église cathédrale, portant en grande pompe la statue du Saint-Précurseur. Cette statue en bois de chêne, grossièrement sculptée et noircie par le temps, est vêtue comme une madone italienne, d’une robe ou plus exactement d’un riche manteau de soie, noué au cou et ne laissant paraître ni les bras ni la taille. La tête est ceinte d’un diadème en argent ou cuivre doré. »

Pour l’abbé Risso – qui avait bien prévu tous les gestes barrières d’usage -, elle « [trouvait] tout à fait son sens cette année dans le cadre de l’épidémie du Covid ». « Ce qui est assez étonnant, glisse-t-il, c’est que l’on a quand même été épargné en Corrèze. »

De fait, la Corrèze n’a vraiment rien d’un cluster c’est le moins que l’on puisse dire : de rapides recherches dans la presse locale indiquent que seuls deux cas positifs ont été dépistés dans le département, ces quinze derniers jours, aucun en EHPAD, « le nombre de passages aux urgences concernant des suspicions de coronavirus est pratiquement nul ». Autant dire que l’on a plus de chance d’y mourir d’un accident de la route.

Mais comme on n’est jamais trop prudent… la préfecture a interdit la procession (pas la voiture). Est-il utile de rappeler que, dans le même temps, en Île-de-France, les manifestations du comité Adama Traoré rassemblent des milliers de personne et, dans les grandes métropoles, dimanche dernier, la fête de la Musique a provoqué le déferlement d’une marée humaine ?

La Lunade n’a connu qu’une seule interruption, en 1896, par un maire laïc et franc-maçon, Jean Tavé. « Une décision qui a provoqué un mini-tremblement de terre, dont les secousses ont été ressenties dans la cité pendant plusieurs années », rapporte La Montagne, exhumant les archives locales : « Douze gendarmes à cheval encerclant le porche empêchent les fidèles de sortir de la cathédrale avec la statue de saint Jean-Baptiste. Un deuxième cordon de soldats ceinture la place. » Il y a aussi « quatre régiments d’infanterie tenus à l’écart, prêts à intervenir ». Il faut dire que « la foule est compacte sur le parvis » et crie « Vive la liberté ! » Dans la nuit du 24 au 25 juin, certains s’introduisent dans la cathédrale et enlèvent la statue, pour faire procession au petit matin. À leur retour dans la cathédrale retentit le Magnificat…

Rien de tout cela, aujourd’hui. L’abbé Risso regrette que « l’État [fasse] décidément peu de cas des libertés publiques », et les fidèles, qui viennent chaque année, se déclarent « consternés ». Les catholiques sont devenus si bien élevés… trop bien élevés ? « On pourrait braver la loi », lance une certaine Christiane, à la sortie de la messe, devant un journaliste de La Montagne. La Voix de Christiane – il y a bien eu Les Yeux d’Irène – aurait pu être le titre du prochain roman de Raspail. Mais Raspail est mort, et Christiane n’a pas osé.

L’honneur est cependant sauf : pour respecter le vœu, la statue de saint Jean a été malgré tout portée de croix en croix par l’abbé Risso et une poignée de paroissiens sur les hauteurs de la ville au crépuscule. Il suffit parfois de Sept cavaliers… Reste à savoir si les innombrables dévotions populations ancestrales, aux quatre coins de la France rurale, qui émaillent d’ordinaire l’été vont faire l’objet des mêmes iniques brimades. Et si nous allons le supporter. »

Source BdVoltaire