C’était aussi un 9 juin : l’assassinat du marquis de Morès

Le marquis de Morès, époque cow-boy en Amérique, mieux valait ne pas le provoquer en duel !

C’est un Français à la vie extraordinaire qui mourut ce jour-là, à 37 ans seulement : explorateur, aventurier, cow-boy, propagandiste nationaliste de talent.
A sa mort, Edouard VII, alors prince de Galles, s’écria : « Anglais, je l’eus fait vice-roi ! »

Penchons-nous brièvement sur ce parcours atypique.

Issu d’une lignée noble, Antoine Manca-Ama de Vallombrosa vécut à Cannes puis intégra l’école militaire de Saint Cyr. Il y eut pour compagnons de chambrée Charles de Foucauld et Philippe Pétain : quelle époque !

Jeune lieutenant, il fut envoyé en Algérie dans le cadre d’une expédition contre une rébellion. Il y livra son premier duel…
En 1882, devenu marquis de Morès à sa majorité, il quitta l’armée et épousa une jeune germano-américaine, fille d’un riche banquier new-yorkais.
Il partit ensuite aux Etats-Unis où, après avoir travaillé quelques temps dans la banque de son beau-père, il s’installa dans les terres pauvres du Dakota du Nord (les badlands). Il y fonda une petite ville qu’il baptisa Medora, du prénom de sa femme. Il y créa un ranch et une compagnie de diligences.
Là, il se livra à plusieurs duels au pistolet, fut arrêté à plusieurs reprises pour meurtre, mais toujours acquitté. Il faillit même se battre avec son voisin Theodore Roosevelt, futur président.
Il se lança dans l’élevage du bétail, ainsi que dans la poursuite des voleurs de celui-ci.
Mais son affaire périclita et il fut ruiné, par la « coalition des éleveurs et des banques juives » écrit Bernanos. Une solide inimitié allait naître probablement ici.

Le village de Medora existe encore, avec une grosse bâtisse nommée un peu exagérément « château de Mores » (où une collection consacrée au marquis est toujours exposée).

Après quoi il partit avec sa femme en Inde (Bombay, Calcutta) et au Népal, puis, toujours en cette année 1888, revint en France avant de s’embarquer pour l’Indochine. Lors d’une escale à Hong-Kong, il se battit en duel avec un autre aventurier français, Marie-Charles David de Mayrena, auto-proclamé « roi des Sedangs » (hauts plateaux de l’Annam). Il y aurait de quoi faire un film, ou même une série, avec de tels personnages ! Mais la suite rend peu probable une telle réalisation avant un moment, comme vous allez le voir…

Après l’échec d’un projet de ligne ferroviaire auquel était opposé le gouverneur général, il revint en France et se lança dans la politique, aux côtés d’Edouard Drumont,  soutenant les boulangistes.
Son activité fut marquée par, il faut bien le dire, un antisémitisme vif, du reste assez commun alors, bien que non partagé par l’ensemble de la mouvance nationaliste.
Déçu par l’inimitié entre Drumont et Boulanger, il créa en 1990 son propre groupe.
Connaisseur de la filière bovine, il s’intéressa au sort des bouchers de la Villette (ils étaient nombreux, regroupés dans ce quartier) : il y recruta les troupes de choc du nationalisme de l’époque, durant laquelle les combats de rue n’étaient pas rares. Le marquis n’y passait pas incognito, avec son sombrero et sa chemise rouge de cow-boy
Il mena des actions, participa à des meetings, écrivit des articles (dans la Libre Parole de Drumont notamment).

Duel du marquis de Morès contre le capitaine Mayer.

Les duels se multiplièrent, d’abord avec le journaliste et député de gauche Ferdinand-Camille Dreyfus.
Une série d’articles, dans la Libre Parole, aboutit à un duel avec le capitaine juif Armand Mayer.  Comme à son habitude, Morès ne s’y déroba pas et vainquit Mayer, qui ne se releva pas, en ce mois de juin 1892.
Morès fut acquitté, mais l’émotion fut vive et une vaste campagne d’hostilité fit pression sur lui.
Il quitta alors la métropole pour l’Algérie, où il poursuivit son militantisme.
Puis, pour combattre l’hégémonie anglaise en Afrique et suite à l’incident honteux de Fachoda, il entreprit de réunir des tribus nomades au bénéfice de la France : il souhaitait que les routes commerciales sahariennes soient détournées vers les ports français avec l’appui des Touaregs. Il espérait aussi rallier les forces du « Mahdi », chef de la rébellion islamiste au Soudan, pour lutter contre les Anglais.
Il se rendit donc en Tunisie et y organisa une caravane (40 chameaux !).
En route pour la Libye, il rencontra des Touaregs, et renvoya les Tunisiens. Arrivant à une oasis près de la frontière, il tomba dans une embuscade et fut attaqué par des membres d’une tribu touareg.
Il se défendit vaillamment, abattant plusieurs des assaillants, et finit par être tué, le 9 juin 1896.

L’affaire fit grand bruit en France.
Une enquête fut déclenchée par l’action de sa femme Medora, qui voulait connaître la vérité (on soupçonnait que derrière les Touaregs impliqués, des puissances aient été à l’œuvre, mais ce point ne fut jamais éclairci).
Des assassins furent arrêtés : l’un d’eux fut condamné à mort, mais gracié, sur demande de la veuve.

Ses obsèques furent célébrées à la cathédrale Notre-Dame de Paris, en présence d’un représentant du président de la République, du duc d’Orléans, de nombreux militaires et députés.
Maurice Barrès, Edouard Drumont et Jules Guérin prononcèrent son éloge funèbre.

PS : en 2022, la commune de Garches (92) a débaptisé une rue et une allée « Marquis de Morès ».