3 octobre 1987 : mort de Jean Anouilh (+ fable méconnue)

à Lausanne, à l’âge de 77 ans.

Cet écrivain et dramaturge français de grand talent – dont l’œuvre théâtrale est particulièrement abondante et variée – fut marqué par l’horreur de « l’Epuration ».
Il s’était d’ailleurs largement et courageusement entremis pour obtenir la grâce de Robert Brasillach, qu’il ne connaissait pas :
« Le jeune homme Anouilh que j’étais resté, jusqu’en 1945, est parti un matin, mal assuré mais du pied gauche, pour aller recueillir les signatures de ses confrères pour Brasillach. Il a fait du porte à porte pendant huit jours et il est revenu vieux chez lui – vieux comme dans un conte de Grimm ».

Ci-dessous, Le Rat, une fable de Jean Anouilh, qui fait comprendre pourquoi la mémoire de ce grand auteur français n’est pas entretenue…

Le Rat

Un rat sortait de l’Opéra :
Plastron blanc et cravate noire…
C’était un rat dont tout Paris savait l’histoire.
On disait que pendant l’occupation des chats,
Il avait stocké du gruyère.
Il était décoré pourtant, de mine fière,
Mais de cette fierté incertaine des rats.
Il est rare que ces gens-là
Aient la conscience tranquille …


Portant beau, poil lustré et ras
Ongles faits par les manucures ;
Costumes du meilleur tailleur ;
Dès qu’il sort de l’égout et se fait place en ville
Un rat a voiture
Et chauffeur,
Chevalière d’or, jolies filles.
Cette race toujours inquiète
A besoin pour se rassurer
De s’entourer de beaux objets
L’illusionnant sur sa puissance :
C’est un défaut qui tient au manque de naissance.
Le chauffeur de mon rat, un gros chien du pays,
Décoré d’ailleurs, lui aussi,
Pour avoir combattu les chats héréditaires
Lors de la précédente guerre,
Acceptait ses hauteurs sans lui montrer les dents
Tant le prestige de l’argent
Est, hélas ! puissant chez les bêtes …
« C’est un rat, disait-il, mais c’est un rat honnête.
Il en est. Et la preuve est qu’il est décoré. »
Ah ! mon Dieu que les chiens sont bêtes !…
Pauvres niais abusés, lisant journaux de rats,
Qui ne sauront jamais que ce que rat dira.Ce soir-là, saluant son maître à la portière,
Le chien ravi lui fit le salut militaire.
Il exultait. La vie lui paraissait plus belle.
Il dit : « Monsieur sait la nouvelle,
Que, pendant que Monsieur écoutait l’opéra,
A donnée la radio ? » – « Qu’importe, dit le rat
Lassé, montant dans son automobile ;
Laissons la radio à un peuple imbécile –
J’ai mes informateurs. » – « Quoi, Monsieur ne sait pas ?
Je crois, Monsieur, qu’il faut, tous deux, qu’on s’y remette
Si on veut faire place nette.
La radio nous annonce une invasion des chats.
Il va falloir tuer tout cha ! »
(Il prononçait à l’auvergnate
Étant chien de Clermont-Ferrand.)
Le rat, entendant
Ces mots, bondit soudain des quatre pattes.
Laissant l’engin de luxe aux portes nickelées,
Dépouillant son plastron, sa pelisse fourrée,
Jetant sa canne et son chapeau
Rat nu, en poil de rat,
Comme au jour de naissance,
Le rat ne fit qu’un bond jusqu’à l’égout voisin
D’où il cria au sot :
« Apprenez, sotte engeance,
Que la race des rats a bien d’autres desseins !
Un rat gras à New York vaut un rat gras à Vienne
Ou à Paris.
Courage, mon ami !
Défendez le pays :
Et lorsque nous aurons enfin
Vaincu la race des félins,
Informez-moi, que je revienne. »