Mort suspecte : une humanitaire anglaise retrouvée morte dans les toilettes de l’aéroport d’Istanbul

Règlement de compte ? Méprise ? Ou véritable suicide ?Différents élément laissent sérieusement planer le doute sur cette mort suspecte.

Qu’est-il arrivé à Jacky Sutton ce samedi 17 octobre à Istanbul? Cette chercheuse anglaise d’une cinquantaine d’années a été retrouvée pendue dans les toilettes de l’aéroport d’Istanbul-Ataturk, tard le soir. Selon les médias turcs, cette spécialiste de l’Irak qui travaillait pour une ONG en Irak se serait suicidée après avoir loupé sa correspondance pour Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Partie de Londres en fin de journée, elle avait atterri aux alentours de 22h en Turquie. Son deuxième avion devait décoller vers minuit.

La Britannique aurait paniqué après s’être rendu compte qu’elle n’avait pas assez d’argent pour acheter un nouveau billet, avance l’agence de presse Anatolie, sans citer ses sources. Son corps a été découvert par trois passagers russes. Les médias locaux indiquent qu’elle se serait pendue avec des lacets de chaussures.

La thèse du suicide contestée par son entourage

Cette version est largement contestée par ses amis et ses collègues. «La théorie selon laquelle elle se serait suicidée à cause d’un avion manqué ne tient pas debout», affirme à France 24 son amie de longue date et collègue à l’Australian National University, Susan Hutchinson. Jane Pearce, la directrice du Programme alimentaire mondial des Etats-Unis (PAM) en Irak, se montre tout aussi sceptique: «Je pleure mon amie et collègue Jacky Sutton. Je ne crois pas ce que rapportent les médias [turcs]».

Journalistes, travailleurs humanitaires, responsables de programmes de développement, tous ceux qui la connaissaient s’accordent à dire que son suicide paraît improbable. Le journaliste irakien Mazin Elias, qui a travaillé avec elle a déclaré dans Mail Onlinequ’il était «impossible» qu’elle se soit donné la mort. «Son but était d’améliorer la vie des autres. Et elle se serait tuée? C’est complètement fou», a réagi Mazin Elias. «Nous ne parlons pas d’une fille comme ça. C’est une femme, une femme avec des responsabilités (…) Pour moi, on a tué Jacky». Tous appellent les autorités anglaises à mener une enquête indépendante en dehors de celle menée par la Turquie. D’après la BBC, la soeur de Jacky a rejoint Istanbul accompagnée d’un employé de l’Institute for War and Peace Reporting (IWPR) pour rencontrer les autorités turques et anglaises. Pour l’heure, le ministère britannique des Affaires étrangères n’a fait que confirmer la mort de la ressortissante britannique.

Le président du parlement irakien, Salim al-Juburi a, de son côté, «appelé les autorités turques à faire toute la lumière sur les circonstances de cet incident», selon un communiqué de la présidence. «Elle est morte dans des circonstances mystérieuses dans un aéroport turc alors qu’elle se rendait en Irak, où elle devait se rendre pour aider ce pays», a-t-il ajouté selon le communiqué.

Une femme «extrêmement brillante»

Divorcée et sans enfant, Jacky Sutton, qui parlait cinq langues, a eu plusieurs vies. Ancienne journaliste de Radio Vatican et du service international à la BBC de 1998 à 2000, elle a également travaillé pour l’Onu dans de nombreux pays comme l’Irak, l’Afghanistan, l’Iran ou encore le Ghana. Dernièrement, elle avait été désignée comme chef du bureau irakien de l’IWPR, qui soutient les journalistes en exercice dans les pays en zone de guerre. Dans un communiqué, l’ONG a expliqué qu’elle tentait d’en savoir plus sur les circonstances troubles de sa mort. «Elle était extrêmement brillante, hautement compétente, et pouvait se debrouiller dans des milieux difficile», est-il écrit. «Et elle était aimée de tous. Nous sommes totalement sous le choc».

Jacky Sutton connaissait les risques de son métier. Son prédécesseur Ammar Al Shahbander avait été tué le 2 mai dernier dans un attentat à la bombe à Bagdad, commis par l’organisation État islamique. «Quand elle a repris son boulot, nous savions que c’était un travail dangereux dans un pays dangereux», commente son amie Hutchinson dans le Guardian. En juin dernier, Jacky Sutton avait d’ailleurs échangé à ce sujet avec la fondatrice du magazine Her Camberra, Amanda Withley. Elle avait notamment expliqué qu’elle avait déménagé de son appartement de fonction à Erbil, par crainte que quelqu’un s’y soit introduit dans le but de la tuer.

Suspectée d’espionnage dans les années 1990

La chercheuse, qui faisait une thèse sur le développement international à l’Université nationale d’Autralie, avait développé un stress post-traumatique après avoir été arrêtée et suspectée d’être une espionne lors d’une mission en Érythrée au milieu des années 1990 , avant d’être «expulsée» du pays. Un épisode douloureux mais dont elle s’était remise, selon son amie Susan Hutchinson. Sur sa page Facebook, on découvre que la chercheuse défendait ardemment la cause animale et était toujours prompte à défendre la liberté d’expression. Le 7 janvier dernier, jour de l’attaque à Charlie Hebdo, elle avait rendu hommage aux «12 personnes qui sont mortes pour que nous puissions tous parler librement» en publiant le dessin de Honoré, montrant Aboud Bakr Al-Baghdadi, le leader de Daech.

Ce mardi, des images de vidéosurveillance la montrant déambuler dans l’aéroport d’Istanbul circulaient sur les réseaux sociaux. Sur cette vidéo de quelques secondes, on la voit passer un contrôle de sécurité avec ses deux sacs. Puis, marcher dans les allées de l’aéroport. Elle est vêtue d’un manteau mauve, d’un jean et porte des baskets blanches. Sur d’autres images, on la voit porter ce qui semble être un sac de shopping. Elle devait se rendre à Erbil pour poursuivre, entre autres, son travail sur les femmes journalistes en Irak.

Source : lefigaro.fr