Noël : messe de minuit (textes et commentaires)

Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à cette fête (rite catholique traditionnel). Pour les autres textes des messes (il y en a plusieurs) et offices de Noël avec leur commentaire, voir ici.

« La messe de minuit rappelle plus spécialement la naissance temporelle de Jésus dans son avènement de grâce : « Marie mit au monde son Fils premier-né. » (Év.) — Elle parle toutefois aussi de la naissance éternelle du Verbe « engendré dès avant l’aurore des temps » (Grad. et Comm.) et qui se manifestera à tous les élus lorsque, à la fin du monde, aura lieu « l’apparition glorieuse de notre grand Dieu » (Ép.). — Elle rappelle enfin la naissance spirituelle de Jésus dans nos âmes qui se manifeste par l’exercice des vertus : « soyons zélés pour les bonnes Å“uvres » (Ép.), « afin de ressembler à Jésus en qui la nature humaine est unie à la nature divine ». (Secr.) — Naissons à la vie divine sur terre, en participant « au saint mystère de la Nativité de Notre-Seigneur » afin de jouir de  sa vie éternelle au ciel. (Or., Post.) »

Dom G. Lefebvre

COMMENTAIRE DE DOM GUÉRANGER
(extrait de l’Année liturgiquedisponible ici avec ses autres livres) :

« A LA MESSE DE MINUIT.

Il est temps, maintenant, d’offrir le grand Sacrifice, et d’appeler l’Emmanuel : lui seul peut acquitter dignement envers son Père la dette de reconnaissance du genre humain. Sur notre autel, comme au sein de la crèche, il intercédera pour nous ; nous l’approcherons avec amour, et il se donnera à nous.

Mais telle est la grandeur du Mystère de ce jour, que l’Église ne se bornera pas à offrir un seul Sacrifice. L’arrivée d’un don si précieux et si longtemps attendu mérite d’être reconnue par des hommages nouveaux. Dieu le Père donne son Fils à la terre ; l’Esprit d’amour opère cette merveille : il convient que la terre renvoie à la glorieuse Trinité l’hommage d’un triple Sacrifice.

De plus, Celui qui naît aujourd’hui n’est-il pas manifesté dans trois Naissances ? Il naît, cette nuit, de la Vierge bénie ; il va naître, par sa grâce, dans les cœurs des bergers qui sont les prémices de toute la chrétienté ; il naît éternellement du sein de son Père, dans les splendeurs des Saints : cette triple naissance doit être honorée par un triple hommage.

La première Messe honore la Naissance selon la chair. Les trois Naissances sont autant d’effusions de la divine lumière ; or, voici l’heure où le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, et où le jour s’est levé sur ceux qui habitaient la région des ombres de la mort. En dehors du temple saint qui nous réunit, la nuit est profonde : nuit matérielle, par l’absence du soleil ; nuit spirituelle, à cause des péchés des hommes qui dorment dans l’oubli de Dieu, ou veillent pour le crime. A Bethléhem, autour de l’étable, dans la cité, il fait sombre ; et les hommes qui n’ont pas trouvé de place pour l’Hôte divin, reposent dans une paix grossière ; mais ils ne seront point réveillés par le concert des Anges.

Cependant, à l’heure de minuit, la Vierge a senti que le moment suprême est arrivé. Son cœur maternel est tout à coup inondé de délices inconnues ; il se fond dans l’extase de l’amour. Soudain, franchissant par sa toute-puissance les barrières du sein maternel, comme il pénétrera un jour la pierre du sépulcre, le Fils de Dieu, Fils de Marie, apparaît étendu sur le sol, sous les yeux de sa mère, vers laquelle il tend ses bras. Le rayon du soleil ne franchit pas avec plus de vitesse le pur cristal qui ne saurait l’arrêter. La Vierge-Mère adore cet enfant divin qui lui sourit ; elle ose le presser contre son cœur ; elle l’enveloppe des langes qu’elle lui a préparés ; elle le couche dans la crèche. Le fidèle Joseph adore avec elle ; les saints Anges, selon la prophétie de David, rendent leurs profonds hommages à leur Créateur, dans ce moment de son entrée sur cette terre. Le ciel est ouvert au-dessus de l’étable, et les premiers vœux du Dieu nouveau-né montent vers le Père des siècles ; ses premiers cris, ses doux vagissements arrivent à l’oreille du Dieu offensé, et préparent déjà le salut du monde. Au même moment, la pompe du Sacrifice attire tous les regards des fidèles vers l’autel ; les ministres sacrés s’ébranlent, le prêtre sacrificateur est arrivé aux degrés du sanctuaire. Cependant le chœur chante le cantique d’entrée, l’Introït. C’est Dieu même qui parle ; il dit à son Fils qu’il l’a engendré aujourd’hui. En vain, les nations frémiront dans leur impatience de son joug ; cet enfant les domptera, et il régnera ; car il est le Fils de Dieu.

Introït Ps 2, 7 :
Le Seigneur m’a dit : « tu es mon Fils. C’est moi qui t’engendre aujourd’hui »
Ps. ib, 1.   Pourquoi les nations ont-elles frémi ? Pourquoi les peuples ont-ils tramé de vains complots ?

Le chant du Kyrie eleison prélude à l’Hymne Angélique, qui éclate bientôt par ces sublimes paroles : Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae voluntatis ! Unissons nos voix et nos cœurs à cet ineffable concert de la milice céleste. Gloire à Dieu ! paix aux hommes ! Les Anges, nos frères, ont entonné ce cantique ; ils sont là autour de l’autel, comme autour de la crèche, et ils chantent notre bonheur. Ils adorent cette justice qui n’a pas donné de rédempteur à leurs frères tombés, et qui nous envoie pour libérateur le propre Fils de Dieu. Ils glorifient cet abaissement si plein d’amour dans Celui qui a fait l’ange et l’homme, et qui s’incline vers ce qu’il y a de plus faible. Ils nous prêtent leurs voix célestes pour rendre grâces à Celui qui, par un si doux et si puissant mystère, nous appelle, nous humbles créatures humaines, à remplir un jour, dans les chœurs angéliques, les places laissées vacantes par la chute des esprits rebelles. Anges et mortels, Église du ciel, Église de la terre, chantons la gloire de Dieu, la paix donnée aux hommes ; et plus le Fils de l’Eternel s’abaisse pour nous apporter de si grands biens, plus ardemment devons-nous chanter d’une voix : Solus Sanctus, solus Dominus, solus Altissimus, Jesu Christe ! Seul Saint, seul Seigneur, seul Très-Haut, Jésus-Christ !

La Collecte vient ensuite réunir tous les vœux des fidèles.

Collecte :
Seigneur Dieu, vous avez illuminé cette nuit sainte de l’éclat de la vraie lumière : nous vous en prions, faites que cette lumière dont le mystère nous est révélé sur la terre nous fasse goûter dans le ciel la plénitude de la joie.

ÉPÎTRE.
Lecture de l’Épître de Saint Paul Apôtre à Tite :
Très cher ami : La grâce de Dieu notre sauveur s’est manifestée à tous les hommes ; nous enseignant à renoncer à l’impiété et aux convoitises mondaines, pour que nous vivions sobrement, et justement, et pieusement dans ce siècle, attendant la bienheureuse espérance et l’avènement de la gloire du grand Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ, qui s’est livré lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité, et de se faire de nous un peuple purifié, agréable, et zélé pour les bonnes œuvres. Dis ces choses, et exhorte : dans le Christ Jésus, Notre-Seigneur.

Il a donc enfin apparu, dans sa grâce et sa miséricorde, ce Dieu Sauveur qui seul pouvait nous arracher aux œuvres de la mort, et nous rendre la vie. Il se montre à tous les hommes, en ce moment même, dans l’étroit réduit de la crèche, et sous les langes de l’enfance. La voilà, cette béatitude que nous attendions de la visite d’un Dieu sur la terre ; purifions nos cœurs, rendons-nous agréables à ses yeux : car s’il est enfant, l’Apôtre vient de nous dire qu’il est aussi le grand Dieu, le Seigneur dont la naissance éternelle est avant tous les temps. Chantons sa gloire avec les saints Anges et avec l’Église.

Graduel :
A toi la puissance au jour de ton triomphe ! Dans les splendeurs des cieux, je t’ai engendré avant l’aurore du monde.
V/. Le Seigneur a dit à mon Seigneur : « Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’écrase tes ennemis sous tes pieds. »
Alléluia, alléluia. V/. Le Seigneur m’a dit : « tu es mon Fils. C’est moi qui t’engendre aujourd’hui ». Alléluia.

ÉVANGILE.
Suite du Saint Évangile selon saint Luc :

En ce temps-là : Un édit de César Auguste fut publié , pour le recensement de toute la terre. Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s’appelle Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter s’accomplit, et elle mit au monde son fils premier-né, l’emmaillota et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie. Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et qui veillaient la nuit sur leur troupeau. Un ange du Seigneur parut auprès d’eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de clarté, et ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit : « Ne craignez point, car je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le peuple une grande joie : il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. Et voici ce qui vous en sera le signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche. » Tout à coup se joignit à l’ange une troupe de la milice céleste, louant Dieu et disant : « Gloire, dans les hauteurs, à Dieu ! Et, sur terre, paix chez les hommes de bonne volonté ! »

Nous aussi, ô divin Enfant, nous joignons nos voix à celles des Anges, et nous chantons : Gloire à Dieu ! paix aux hommes ! Cet ineffable récit de votre naissance attendrit nos cœurs, et fait couler nos larmes. Nous vous avons accompagné dans le voyage de Nazareth à Bethléhem, nous avons suivi tous les pas de Marie et de Joseph, dans le cours de cette longue route ; nous avons veillé, durant cette sainte nuit, attendant l’heureux moment qui vous montre à nos regards. Soyez loué, ô Jésus, pour tant de miséricorde : soyez aimé, pour tant d’amour. Nos yeux ne peuvent se détacher de cette heureuse crèche qui contient notre salut. Nous vous y reconnaissons tel que vous ont dépeint à nos espérances les saints Prophètes, dont votre Église nous a remis, cette nuit même, les divins oracles sous les yeux. Vous êtes le grand Dieu, le Roi pacifique, l’Époux céleste de nos âmes ; vous êtes notre Paix, notre Sauveur, notre Pain de vie. Que vous offrirons-nous, à cette heure, sinon cette bonne volonté que nous recommandent vos saints Anges ? Formez-la en nous ; nourrissez-la, afin que nous méritions de devenir vos frères par la grâce, comme nous le sommes désormais par la nature humaine. Mais vous faites plus encore dans ce mystère, ô Verbe incarné ! Vous nous y rendez, comme parle votre Apôtre, participants de cette nature divine que vos abaissements ne vous ont point fait perdre. Dans l’ordre de la création, vous nous avez placés au-dessous des Anges ; dans votre incarnation, vous nous faites héritiers de Dieu, et vos propres cohéritiers. Que nos péchés et nos faiblesses ne nous fassent donc pas descendre de ces hauteurs auxquelles vous nous élevez aujourd’hui.

Après l’Évangile, l’Église chante en triomphe le glorieux Symbole de la foi, dans lequel sont racontés tous les mystères de l’Homme-Dieu A ces paroles : Et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine, et HOMO FACTUS EST, adorez profondément le grand Dieu qui a pris la forme de sa créature, et rendez-lui par vos plus humbles respects cette gloire dont il se dépouille pour vous. Aux trois Messes d’aujourd’hui, lorsque le chœur est arrivé à ces paroles dans le chant du Symbole, le Prêtre se lève de son siège, et vient rendre gloire, à genoux, au pied de l’autel. Unissez en ce moment vos adorations à celles de toute l’Église représentée par le sacrificateur.

Pendant l’offrande du pain et du vin, l’Église célèbre la joie du ciel et de la terre pour l’arrivée du Seigneur. Encore un peu de temps, et sur cet autel qui ne porte encore que le pain et le vin, nous posséderons le corps et le sang de notre Emmanuel.

Offertoire Ps. 95, 11 et 13 :
Les cieux se réjouissent, la terre bondit de joie en présence du Seigneur, parce qu’il est venu.

Secrète :
En ce jour de fête, Seigneur, rendez notre offrande digne de vous. Et dans l’échange infiniment saint que réalise ce sacrifice, accordez-nous la grâce de ressembler au Christ Jésus, en qui notre nature humaine se trouve unie à vous.

La Préface vient ensuite réunir les actions de grâces de tous les fidèles, et se termine par l’acclamation au Seigneur trois fois Saint.

Préface de la Nativité

Au moment de l’élévation des sacrés Mystères, au sein de ce silence religieux durant lequel le Verbe divin descend sur l’autel, ne voyez plus que la crèche de l’Enfant qui tend ses bras vers son Père et vous offre ses caresses, et Marie qui l’adore avec un amour de mère, et Joseph qui verse des pleurs de tendresse, et les saints Anges qui s’anéantissent dans l’étonnement. Donnez votre cœur au nouveau-né, afin qu’il y inspire tous ces sentiments ; demandez lui de venir en vous, et faites-lui place au-dessus de toutes vos affections.

Communion :
Dans les splendeurs des cieux, je t’ai engendré avant l’aurore du monde.

Après la Communion, l’Église, qui vient de s’unir au Dieu-Enfant par la participation de ses Mystères, chante encore une fois la gloire de l’éternelle génération de ce Verbe divin qui est sorti du sein de son Père avant toute créature, et qui, cette nuit, a apparu au monde avant le lever de l’étoile du matin.

La sainte Église conclut les supplications de ce premier Sacrifice, en demandant la grâce d’une indissoluble union avec le Sauveur qui a daigné apparaître.

Postcommunion :
Nous avons la joie, Seigneur notre Dieu, de célébrer tous ensemble dans ces saints mystères la naissance de Notre Seigneur Jésus Christ : faites, nous vous en prions, qu’au terme d’une vie sainte, nous méritions de partager sa gloire.

La nuit miraculeuse poursuit son cours ; le chant du coq se fait entendre. Bientôt l’heure sera venue d’offrir le second Sacrifice, qui doit sanctifier l’aurore. Chaque jour, l’Église est en prière à ce moment qui précède le lever du soleil, et qui rappelle si vivement le mystère du Verbe divin descendu pour illuminer le monde. Cet Office est tout entier consacré à la louange et à la jubilation ; et, pour cette raison, il a reçu le nom de Laudes. Aujourd’hui l’Église l’anticipe, afin de réserver pour l’instant où l’aurore paraîtra au ciel un sacrifice de louange plus complet, plus divin, l’Hostie Eucharistique qui acquitte toutes les dettes de la terre. »

COMMENTAIRE DU BHX CARDINAL SCHUSTER (Liber Sacramentorum)

« Station à Sainte-Marie à la Crèche.

La messe de minuit — les anciens l’appelaient ad galli cantum, parce que, dès le temps de saint Ambroise, à cette heure seulement commençait l’office matutinal quotidien — rappellerait la naissance éternelle du Verbe de Dieu au sein des splendeurs de la gloire paternelle ; celle de l’aurore célèbre son apparition temporelle dans l’humilité de la chair, et enfin la troisième, à Saint-Pierre, symbolise son retour final au jour de la parousie, quand il siégera comme juge des vivants et des morts.

Selon l’Ordo Romanus XI, la nuit de Noël, au temps de Célestin II, on célébrait encore à Sainte-Marie-Majeure, et avec l’assistance du Pape, les deux synaxes vigiliales distinctes dont parle Amalaire. Dans la première les leçons étaient chantées par les chanoines, les cardinaux et les évêques, précisément comme au troisième dimanche de l’Avent à Saint-Pierre ; après l’office on célébrait la Messe ad Praesepe, suivie des secondes matines et des laudes.

Au XVe siècle, le Pontife intervenait aux vigiles avec une chape de laine écarlate, munie d’un capuchon qui se nouait sous la barbe propter frigus, selon la description de l’Ordo Romanus XIV [1]P. L., LXXVIII, col. 1181.. Si l’empereur y assistait aussi, il était revêtu du pluvial et, brandissant l’épée, il devait chanter la cinquième leçon, la neuvième étant réservée au Pape. Durant la messe, toutes les offrandes que le peuple déposait sur l’autel ou aux pieds du Pontife, appartenaient aux chapelains, sauf le pain, qui revenait aux acolytes. Contrairement à l’usage, la nuit de Noël, le Pape communiait non pas au trône, mais à l’autel, et pour boire au Calice sacré, il n’employait pas l’habituel chalumeau d’or ; quant au clergé, il attendait le matin pour recevoir la sainte Communion.

L’introït est tiré du psaume 2, et peut s’appliquer aux diverses générations du Verbe ; à celle, éternelle et divine, dans le sein du Père ; à celle, humble et passible, dans le sein virginal de Marie, et enfin à celle, glorieuse, des entrailles de la terre, quand, le jour de Pâques, II ressuscita pour triompher définitivement du péché et de la mort. Durant le saint temps de Noël, il est à propos de réconforter souvent notre foi par cette énergique profession de la divinité qui se cache sous les pauvres apparences du petit Enfant de Bethlehem. Le Verbe nous a créés par sa puissance, et II nous a rachetés par sa faiblesse, mais cette faiblesse n’aurait servi de rien si n’y avait été jointe l’invincible vertu divine, grâce à l’union hypostatique.

Dans la collecte, nous rappelons que le Seigneur a éclairé les ténèbres de cette nuit sainte par les splendeurs de son ineffable lumière ; qu’il nous accorde donc, après avoir été initiés ici-bas au mystère de son Incarnation, de pouvoir un jour être participants de Sa gloire. Le lien est intime en effet : ici-bas, la foi ; là-haut, la lumière ; ici-bas, la grâce ; là-haut, la gloire. Avant la venue du Verbe de Dieu sur la terre, l’homme marchait à tâtons dans les ténèbres du péché et de l’ignorance ; Jésus venu, la grâce de l’Esprit Saint a éclairé les âmes, et l’humanité, au moyen de la révélation chrétienne conservée intacte dans l’Église catholique, vit désormais, et se nourrit, de la lumière de l’éternelle Sagesse.

La lecture est tirée de la lettre à Tite (II, 11-15), et il importe de noter que, lorsqu’à Rome on lisait aussi le texte grec, le premier mot, epiphánê, rappelait justement le nom d’Épiphanie donné primitivement à la solennité de Noël.

L’Apôtre met en pleine évidence le caractère tout à fait gratuit de l’incarnation du Fils de Dieu, dont le motif doit être cherché exclusivement, non pas dans nos prières ou nos bonnes œuvres, mais dans l’infinie miséricorde du Seigneur. Nous sommes encore à Noël, mais déjà commence le Sacrement pascal, comme disaient les anciens Pères. Le gracieux Enfant de Bethlehem est l’innocente victime pour les péchés du monde. Avant que nous arrivions à la fraction des Mystères, il y aura au moins trente-trois années ; mais le sacrifice commence aujourd’hui, et le Pontife éternel est déjà à l’introït de sa messe.

Le répons-graduel vient du psaume 109, qui décrit d’abord, en traits rapides, l’éternel aujourd’hui où le Père a engendré, engendre et engendrera toujours’ e Verbe, sans commencement, ni succession aucune de temps, et sans fin. Le psalmiste parle ensuite de la mission temporelle du Christ, qui est d’assujettir à sa puissance tous ses ennemis, qui sont aussi les ennemis de Dieu. Il remportera sur eux la victoire finale et les mettra comme un escabeau sous ses sandales d’or, en tant qu’il les jugera au jour de la parousie, non seulement comme Dieu, mais aussi comme Premier-Né de la création. Quand il aura conduit captifs à Dieu tous les rebelles, alors, comme l’explique l’Apôtre, la mission temporelle du Christ sera accomplie et cessera, pour que Dieu soit omnia in omnibus.

Le verset alléluiatique, qui devait jadis suivre la seconde lecture avant l’Évangile, répète la strophe du psaume 2 : « Yahweh m’a dit : Tu es mon Fils, parce qu’aujourd’hui je t’ai engendré. » Cela le Verbe le répète, non point dans les splendeurs du ciel, quand les anges lui chantent alléluia, mais dans l’infirmité de sa chair, au milieu des calomnies et des blasphèmes de ses ennemis. C’est en effet contre eux que Jésus doit invoquer assez souvent ses prérogatives messianiques, et c’est pourquoi il recourt au témoignage infaillible de Celui qui l’a engendré déjà une première fois dans l’éternité, puis donna au Verbe Sa sainte humanité, qui lui est hypostatiquement unie.

La lecture de l’évangile selon saint Luc (II, 1-14), décrit la naissance de Jésus au cœur de la nuit à Bethlehem. Le Saint-Esprit Lui-même a daigné commenter ce texte sacré par l’intermédiaire de l’évangéliste saint Jean, et nous lirons ses paroles aujourd’hui à la troisième messe. Toute autre explication humaine serait donc superflue. Jésus naît dans une étable, II érige son trône et sa chaire dans une mangeoire entre deux vils animaux. Viens, chrétien, agenouille-toi au pied de cette crèche. C’est de là que Jésus condamne ton faste, ton orgueil, ta sensualité, et t’apprend au contraire l’obéissance, l’humilité, la pénitence, la mortification.

Le verset d’offertoire est tiré du psaume 95, où sont invités à se réjouir et les cieux et la terre, parce que le Seigneur est venu. En effet, la venue de Jésus sur la terre a consacré le monde, comme s’exprimait hier l’Église dans sa liturgie. Cette consécration se reflète aussi en partie sur les créatures sans raison et insensibles, soit parce que le Verbe incarné a voulu s’en servir durant sa vie passible, soit encore parce que certaines d’entre elles, comme l’eau, le vin, le pain, l’huile, ont été élevées à la dignité de matière des divins sacrements, et qu’en général toutes aident l’homme à la facile obtention de sa fin dernière surnaturelle.

Dans la prière d’introduction à la préface — le véritable commencement de l’antique anaphore eucharistique — nous demandons au Seigneur que par les mérites du divin Sacrifice, comme Jésus a voulu devenir consubstantiel à nous dans la nature humaine, nous aussi, nous ayons le bonheur de Lui ressembler, au moyen de l’habitus surnaturel de la grâce, qui nous confère précisément la conformité intérieure au Christ.

Durant ce temps de Noël, selon ce que le Pape Vigile écrivit à Profuturus de Braga, l’on insère dans la préface une période où est commémoré le mystère de l’Incarnation. En voici le texte : « Une lumière nouvelle environna aujourd’hui les yeux intérieurs de l’âme à cause de la mystérieuse incarnation de votre Verbe. Aussi, tandis que nous contemplons un Dieu rendu visible, notre cœur est ravi, grâce à lui, à la contemplation des choses invisibles. »

Dans la première partie des diptyques, on fait également mémoire de la naissance du Sauveur : « Commémorant le jour très saint où la virginité sans tache de Marie donna le jour au Sauveur du monde. » Ces insertions sont très anciennes et remontent au moins au IVe siècle.

L’antienne pour la Communion est tirée du psaume 109, indubitablement messianique. Le Père a engendré le Verbe dans les splendeurs de sa sainteté, en sorte que ce tendre Enfant qui revêt aujourd’hui dans la crèche, les livrées du serviteur et du pécheur, Lui est coéternel et consubstantiel. Dans une abbaye grecque, un peintre du moyen âge a très ingénieusement exprimé cette coéternité du Verbe incarné, le représentant sous la figure d’un enfant sur les genoux du Père, mais avec barbe abondante et blanche, ainsi que le prophète Daniel nous décrit l’Antiquus dierum avec la barbe et la chevelure devenus blancs comme de la laine.

Dans la collecte d’action de grâces, nous demandons au Seigneur que la réception des saints Mystères en mémoire de sa nativité temporelle, nous mérite la grâce d’exprimer ces mystères par notre vie, pour pouvoir obtenir au ciel la récompense. C’est en effet le but de la sainte Communion, nous faire participer à la vie du Christ, nous greffer sur l’arbre de sa passion, afin que nous ne vivions plus pour nous mais pour Lui ; bien plus, pour que nous Le vivions, Lui.

Saint Alphonse, après avoir considéré toutes les tendresses de l’amour que Jésus-Enfant nous montre dans la grotte de Bethlehem, termine son célèbre cantique par cette exclamation : « Ah ! Combien il t’a coûté de nous avoir aimés ! » Au pied de la sainte crèche on ne peut dire mieux. Quand un Dieu se consume d’amour pour ses créatures, au point de s’anéantir lui-même, d’affronter l’extrême pauvreté, les persécutions, la mort la plus honteuse et la plus cruelle, on ne saurait faire autrement que pleurer de reconnaissance à ses pieds, procidamus ante eum, ploremus coram Domino, et déplorer de l’avoir aimé si tard et si mal, s’écriant avec saint Augustin : Sera te amavi, pulchritudo tam antiqua, sera te amavi.   »

Source Introïbo

Notes   [ + ]

1. P. L., LXXVIII, col. 1181.