Les « Écrits céliniens » de Robert Faurisson

C’est après la mort de Robert Faurisson que les éditions Akribeia ont décidé d’éditer ce recueil de textes du célèbre professeur, visant à réhabiliter pleinement Louis-Ferdinand Céline, l’écrivain maudit du XXe siècle au style inimitable, et qui fut injustement calomnié après guerre.

Le premier chapitre porte sur Bardamu, le héros du principal roman de Céline, Voyage au bout de la nuit. Ce n’est pas un hasard si le livre commence sur ce personnage de roman car il semble bien que pour comprendre Céline, il faut comprendre Bardamu avec son voyage où il allait passer de Charybde en Scylla : dès le début, le héros du voyage est sur un champ de bataille de la première guerre mondiale où les balles sifflent et la mort fauche… Incontestablement, cela expliquera pourquoi Céline sera du côté des pacifistes dans les années 30.

La suite du livre visera à expliquer et même justifier les prises de position de l’écrivain controversé. Faurisson s’emploiera à justifier les titres des pamphlets, notamment Bagatelles pour un massacre : le massacre dont il est question, c’est la deuxième Guerre mondiale dont on sent les prémices en 1937 tant les bellicistes soufflent sur les braises et que Céline prévoit avec justesse qu’elle s’annonce comme une boucherie, et qu’il faut donc éviter :

« Il nous faut le répéter, jamais ce titre n’a signifié que Céline préconisait un quelconque massacre des juifs. En réalité, le massacre en question était celui qui allait se produire de 1939 à 1945 (avec, ensuite, l’horreur du traitement infligé aux vaincus par les vainqueurs).
Dès 1936 et la guerre d’Espagne, beaucoup s’étaient mis à craindre l’éclatement d’un conflit beaucoup plus étendu. En 1937, date de parution de son ouvrage, l’ancien combattant de la Première Guerre mondiale qu’était Louis-Ferdinand Destouches mettait en garde ses contemporains contre le risque immédiat d’une Seconde Guerre mondiale. Choisi à dessein, le mot de « Bagatelles » désignait, par ironie antiphrastique, un ensemble de signes alarmants de la catastrophe à venir : ces signes n’étaient que « bagatelles » par rapport aux horreurs que réservait l’avenir.
Le 5 février 2011, lors de la seconde journée d’un colloque organisé au Centre Pompidou plutôt « contre Céline » que « sur Céline », j’avais été empêché d’en dire plus que quelques mots. On avait eu vite fait de me retirer le micro.
Pour justifier mon interprétation, qui est celle, je pense, de tous les céliniens, j’aurais pu donner en quelque sorte la parole à Céline en résumant la longue lettre que ce dernier avait adressée le 15 avril 1948 à Jean Paulhan (de la NRF).  […] Dans cette lettre, si claire, si nette, si éloquente rédigée trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et traitant de ce qu’il appelle « l’équivoque entretenue à dessein par mes ennemis, mes chacals » il écrivait : « lorsque j’attaquais les Juifs [en 1937]. Lorsque j’écrivais Bagat [sic], pour un massacre je ne voulais pas dire ou recommander qu’on massacre les juifs. Eh foutre tout le contraire. Je demandais aux Juifs à ce qu’ils ne nous lancent pas par hystérie dans un autre massacre plus désastreux que celui de 14-18 ! – C’est bien différent. – On joue avec grande canaillerie sur le sens de mes pamphlets. On s’acharne à me vouloir considérer comme un massacreur de juifs. Je suis un préservateur patriote acharné de français et d’aryens – et en même temps d’ailleurs de Juifs ! »

Et d’ajouter, à une époque où il n’était pas encore devenu révisionniste et croyait peut-être encore à la réalité de la chambre à gaz nazie (avant de parler moqueusement, dès 1950, de « la magique chambre à gaz ») : « Je n’ai pas voulu Auschwitz, Buchenwald. Foutre ! Baste ! Je savais bien que déclarant la guerre on irait à ces effroyables “Petioteries” [du nom du Docteur Petiot] ! Demain si on déclare encore la guerre, on verra cent fois mieux, ou pire ! C’est l’évidence ! » (source : le blog de R. Faurisson)

Il en va de même de son deuxième pamphlet écrit un an après (1938), l’École des cadavres : les cadavres dont il est question, ce sont les cadavres que la guerre va créer. Rien n’a voir avec des persécutions communautaires, même si par ressentiment, Céline appelle à faire payer ceux qui étaient des « pousse-au-crime » et qu’il dénonçait sans euphémisme et très clairement.

Le troisième pamphlet polémique, (Les beaux draps) écrit en 1941, ne peut se comprendre qu’à la suite des deux premiers : en 1937, c’était Bagatelles pour un massacre, en 1938, l’école des cadavres. En 1941, la guerre n’a pas pu être évitée, on est dans de beaux draps !

Le livre ne se limite pas à expliquer les écrits de Céline, mais vise aussi à dénoncer les injustes calomnies dont a été victime l’écrivain après guerre. A commencer par la chasse aux sorcières dont il a été l’objet et qui l’obligea à se réfugier au Danemark de 1945 à 1951. Faurisson, dans un chapitre en forme de clin d’œil, « Céline dans de beaux draps », tord le cou à l’idée selon laquelle cela aurait été un séjour plaisant : l’écrivain a été emprisonné, mais aussi torturé, tout comme ses co-détenus allemands ou danois. En 1947, à la suite d’une campagne d’un journal communiste danois, le médecin chef voulut que Céline partît de l’hôpital où il avait été admis après avoir été rendu à l’état de loques par les bonnes consciences danoises ! Faurisson rappelle que Céline n’a pas de sang sur les mains, et a finalement bien peu contribué à la propagande puisque, durant la guerre, outre les beaux draps, l’écrivain n’a écrit au maximum qu’une quarantaine d’articles pour des journaux comme Je suis partout, Gringoire ou le Pilori.

Robert Faurisson fait ressortir le contraste quand on compare sa situation avec la détention de Léon Blum en Allemagne durant la guerre : l’ex-chef du gouvernement du Front populaire résidait dans une maison particulière, avec, pour le servir, un valet de chambre allemand ! Il avait téléphone et radio et put entretenir une correspondance avec Churchill et même Roosevelt. Il convola en noces avec Jeanne Reichenbach, mariage célébré selon le rite israélite en 1943. Le tout, rappelons-le, sur le territoire allemand.

Du reste, ce que montre ce livre, c’est que Céline n’a rien perdu de sa lucidité après la deuxième guerre mondiale, même s’il ne s’exprima plus publiquement en France. Dans une interview accordée en 1960 à un journaliste américain, Céline dira (on est 1960) : « C’est l’époque du Jaune… Le Noir et le Blanc vont se mélanger et le Jaune va dominer, c’est tout. C’est un fait biologique, quand le Noir et le Blanc se mélangent, c’est le Jaune qui sort gagnant, c’est tout… Dans 200 ans, quelqu’un regardera une statue d’homme blanc et demandera si quelque chose d’aussi bizarre a jamais existé… Quelqu’un répondra : non, ça doit être de la peinture. Voilà la réponse ! L’homme blanc est quelque chose du passé… il est déjà fini, éteint ».

Ce livre posthume, riche de bien d’autres informations et publié par les éditions Akribeia, peut être acquis par internet ici.