« Si l’armée quitte notre village, nous risquons d’être égorgés »

Entretien très intéressant d’un civil Syrien effectué par la journaliste Silvia Cattori, membre du Réseau Voltaire :

Silvia Cattori : Le 12 mars, les images insoutenables de 47 femmes, hommes, enfants mutilés, égorgés, certains carbonisés, à Homs, nous ont laissés sans voix. L’opposant Hadi Abdallah a attribué ce massacre « aux milices d’el-Assad » et a affirmé que des membres de « l’armée libre » avaient retrouvés ces corps dans les quartiers de Karm al-Zeitoun et d’al-Adawiyé et qu’ils les ont transportés dans le quartier de Baba Seeba où il les a filmés. [6] Selon vous l’armée gouvernementale serait-elle impliquée dans ces massacres barbares ?

Réponse : Ce qui se passe ici est tout le contraire de ce qui se dit chez vous. Je vous demande pardon Madame. Nos soldats ne sont pas des mercenaires. Ce sont les fils de ce peuple, toutes religions mélangées. Ce sont mon frère, mon fils, mon oncle. C’est cela notre armée. Il est impossible que le fils tue délibérément son père. Nos soldats font face depuis de longs mois à des mercenaires payés par des fonds extérieurs pour commettre des meurtres. Le massacre de ces femmes et enfants, dans les quartiers de Karm al-Zeitoun et d’al-Adawiyé, ce sont eux qui l’ont commis, pour ensuite en imputer la responsabilité aux forces du gouvernement. Il y a des preuves : les habitants des quartiers de Bab Sebaa, Nazihine et Nazha ont reconnu parmi les victimes de ce massacre des proches kidnappés et rançonnés par les mercenaires.

Je puis vous parler d’un autre massacre qui a été découvert par nos soldats [le 10 mars] dans le quartier de Shomari, proche de Baba Amro. Mon père avait des amis musulmans à Shomari. Je suis allé plusieurs fois leur rendre visite avec lui. Il y a quelques jours un jeune homme a frappé à ma porte. Il a dit : « Je suis le petit fils de l’ami de votre père ». Je vous dis de mémoire ce qu’il m’a raconté.

« Tous les hommes de notre quartier étaient contraints par les milices de Baba Amro à porter des armes et à les retourner contre le régime. Ils nous disaient que celui qui refusait serait égorgé. Mon père, mes frères et moi avons alors pris les armes. Après la prise de Baba Amro, le 1er mars, quand le gouvernement a appelé à rendre les armes, mon père, mes frères et moi, les avons rendues. Le 10 mars, quand nos soldats ont découvert de nombreux hommes égorgés à Shomari, j’ai reconnu parmi les corps mon père et mes deux frères. Les milices avaient égorgé tous ces hommes parce qu’ils avaient rendu les armes. Je me suis tout de suite enfui du côté des soldats, je leur ai demandé de me protéger et de m’accompagner chez vous ».

Ce que je rapporte est la vérité Madame. Je ne suis pas ici pour défendre le gouvernement. Tous les hommes égorgés à Shomari étaient des musulmans. Les milices les ont égorgés parce qu’ils avaient rendu les armes et étaient en désaccord avec eux. Ce qu’il m’a raconté a été confirmé par un homme qui était encore en vie. Transporté à l’hôpital il a raconté ce qui s’est passé.

Parmi ces musulmans armés qui massacrent il y a des fanatiques. Mais ils sont une petite minorité. Ce sont surtout des jeunes. Parmi eux, il y a des hommes venus de l’étranger. Le jeune homme dont je viens de vous parler a dit qu’il y avait à Baba Amro des Irakiens, des Libyens, des Français, des Qatari, des Égyptiens, etc. Le pouvoir fait ce qu’il peut pour les combattre. S’il a pris son temps avant de prendre d’assaut Baba Amro en février, c’est qu’il voulait parvenir à les déloger en causant le moins de pertes possibles parmi les civils.

Dans la campagne de Homs il n’y a que deux villages qui sont contre le gouvernement : Qousseir et Al Bowayda. Hormis ces deux villages, il n’y a pas de problème entre les chrétiens et les musulmans. Nous avons de très bons contacts avec tous nos voisins. Dans le petit village où j’habite avec ma famille, nous sommes entourés de musulmans. Ils sont nos amis ; ils ne nous attaquent pas. Nous nous sentons bien avec eux, ils se sentent bien avec nous. Nous allons à leurs fêtes, ils viennent à nos noces. Ces liens intenses sont très anciens. Quand nous discutons avec eux ils sont aussi affligés que nous de ce que ces jeunes musulmans fanatiques font. Ils nous disent qu’ils ne peuvent pas contrôler leurs fils, qu’ils ne savent pas comment les faire cesser de tuer, car ils reçoivent beaucoup d’argent.

Silvia Cattori : Savez-vous que, sauf rares exceptions, les reporters qui sont venus à Homs – et quasiment tous les journalistes qui commentent ce qui se passe en Syrie en Europe – qualifient Bachar el-Assad d’assassin ?

Réponse : Qui sont ces journalistes ? Croyez-vous que ce sont des journalistes honnêtes ? Depuis que ces actes de terreur ont commencé nous vivons un enfer à cause de ces mercenaires. Ces journalistes qui mentent portent une lourde responsabilité.

J’ai vécu la plus grande partie de ma vie en dehors de la Syrie. Ma culture est presque européenne. Quand je suis revenu en Syrie j’étais en désaccord avec la politique de mon pays ; mais comparé à ce que nous subissons maintenant je me dis que c’était un moindre mal. Nous vivions paisiblement. Nous vivions en paix, nous étions contents, même si il y avait des choses qui n’étaient pas parfaites. Ma fille pouvait aller de Homs à Damas, voyager la nuit sans aucun problème.

Nous n’imaginions pas qu’un jour, chrétiens, druzes, alaouites et musulmans seraient soudainement victimes du fanatisme de ces extrémistes musulmans. Tout cela pour déstabiliser l’État syrien. Les jeunes se sont laissé embrigader dans les villages pour commencer. Ils ont reçu de l’argent ; ils ont reçu des armes. Ils mènent des attaques contre des édifices gouvernementaux, tirent sur les policiers, les forces armées, sur les Syriens qui s’opposent à eux. Un policier de notre village a été tué à Homs en août.

Ce fléau nous est venu du dehors. Les Syriens ne tuent pas pour tuer Madame. Ce sont des gens très cultivés et de nature paisible. J’ai parlé au début avec ces jeunes embrigadés. Je leur ai demandé : « Pourquoi agissez-vous comme cela ? » Ils m’ont répondu : «  Parce qu’on est bien payés. Les hommes reçoivent 600 livres par jour [10 dollars US] et les femmes 400 livres ; ceci rien que pour aller manifester et se laisser filmer. C’est plus agréable que d’aller travailler dans les champs et bien mieux payé. » Voilà pourquoi on ne trouve plus de jeunes pour travailler la terre ; les gens ordinaires ne peuvent pas payer ce prix. Et voilà pourquoi les parents ne peuvent plus contrôler leurs enfants. C’est comme cela que le sang a commencé à couler. Chaque meurtre, chaque attentat, a un salaire.

Silvia Cattori : Début mars, la révélation par la presse que les médecins syriens torturent les blessés a fait sensation [7]. Cela aussi vous le réfutez ?

Réponse : Je suis très étonné Madame d’apprendre cela ! Ce n’est pas de la Syrie qu’ils parlent ! Ici c’est tout à fait le contraire. Pourquoi un médecin ferait-il cela ? En Syrie, les médecins ne sont pas des tortionnaires. Ce sont des gens dévoués à soigner les patients comme dans n’importe quel hôpital du monde ! Tous les médecins travaillent d’arrache pied depuis des mois. Ici, les gens qui ne sont pas embrigadés par les mercenaires ne croiraient jamais ce que racontent vos journalistes…Pourquoi ces gens inventent-ils ces accusations ? Pourquoi sont-ils si acharnés contre notre pays ? Veulent-ils détruire la Syrie parce que c’est un pays qui résiste contre l’occupation du Golan par Israël ? Je vous prie de chercher à savoir quels liens ces journalistes ont avec Israël. Ces graves accusations ne sont pas sans conséquences pour nous.

Je puis vous parler de mon médecin. Dès le début des troubles, lui, et tous ses confrères de Damas, sont tout de suite allés apporter leur aide aux médecins de l’hôpital Al Ahli, à Homs. Ils travaillent jours et nuits s’il le faut. Questionné au sujet des rumeurs disant que les manifestants blessés ne recevraient pas les mêmes soins que les soldats du gouvernement il a répondu : « Comment vous voulez qu’on fasse la différence ? Notre travail est de soigner du mieux que l’on peut tous les blessés et les malades. De quel bord ils sont ne rentre pas en considération. Notre geste envers tout blessé est d’empathie humaine avant tout. »

Silvia Cattori : Pensez-vous que la Syrie pourra retrouver la vie paisible d’avant ?

Réponse : Les chrétiens et les musulmans qui en leur majorité portent la Syrie en leur cœur sont convaincus qu’elle sortira gagnante. Vous savez que les cheikhs et des prêtres prient ensemble à l’église et dans les mosquées. La Syrie et le Liban sont le paradis du monde. Ce sont des pays ou les prophètes ont vécu. Une terre bénie.

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