Messe du 4e dimanche de Carême – textes et commentaire

Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à ce dimanche (rite catholique traditionnel), avec commentaire.

La multiplication des pains.

« « Laetare ». C’est la joie de l’étape, au milieu du Carême ; anticipation de celle de Pâques qui doit jaillir de la croix. Dans l’épître, en un langage allégorique où Agar figure la Synagogue et Sara l’Eglise, Saint Paul donne d’un récit célèbre de la Genèse une interprétation qui montre que dans l’ordre du salut tout repose sur le don de Dieu, la « promesse ». Les héritiers de cette promesse, ce sont ceux qui croient au Christ, qui en est l’accomplissement. L’Evangile est celui de la multiplication des pains, symbole de l’eucharistie, qui est par excellence le sacrement pascal promis aux baptisés.
La joie de l’Eglise est grande de posséder ces richesses, de les voir sans cesse se renouveler en elle et de pouvoir les communiquer. C’est dans cette pensée que, tendue vers Pâques, à mi-route du Carême, elle nous convie à respirer au souffle bienfaisant de la grâce (coll.).
»

Dom G. Lefebvre

 

INTRODUCTION puis COMMENTAIRE de DOM GUÉRANGER
(dans l’Année liturgiquedisponible ici avec ses autres livres) :

« Ce Dimanche, appelé Lætare, du premier mot de l’Introït de la Messe, est un des plus célèbres de l’année. L’Église, en ce jour, suspend les saintes tristesses du Carême ; les chants de la Messe ne parlent que de joie et de consolation ; l’orgue, muet aux trois Dimanches précédents, fait entendre sa voix mélodieuse ; le diacre reprend la dalmatique, le sous-diacre la tunique [1]Ici, Dom Guéranger fait allusion à un usage aboli sous Jean XIII : pendant les temps de pénitence, la dalmatique et la tunique étaient remplacées par ce qu’on appelle des chasubles pliées. : et il est permis de remplacer sur les ornements sacrés la couleur violette par la couleur rose. Nous avons vu, dans l’Avent, ces mêmes rites pratiqués au troisième Dimanche appelé Gaudete. Le motif de l’Église, en exprimant aujourd’hui l’allégresse dans la sainte Liturgie, est de féliciter ses enfants du zèle avec lequel ils ont déjà parcouru la moitié de la sainte carrière, et de stimuler leur ardeur pour en achever le cours. Nous avons parlé, au jeudi précédent, de ce jour central du Carême, jour d’encouragement, mais dont la solennité ecclésiastique devait être transférée au Dimanche suivant, dans la crainte qu’une trop grande liberté ne vint altérer en quelque chose l’esprit du jeune : aujourd’hui rien ne s’oppose a la joie des fidèles, et l’Église elle-même les y convie.

La Station, à Rome, est dans la Basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem, l’une des sept principales de la ville sainte. Élevée au IVe siècle par Constantin, dans la villa de Sessorius, ce qui l’a fait appeler aussi la basilique Sessorienne, elle fut enrichie des plus précieuses reliques par sainte Hélène, qui voulait en faire comme la Jérusalem de Rome. Elle y fit transporter, dans cette pensée, une grande quantité de terre prise sur le mont du Calvaire, et déposa dans ce sanctuaire, entre autres monuments de la Passion du Sauveur, l’inscription qui était placée au-dessus de sa tête pendant qu’il expirait sur la Croix, et qu’on y vénère encore sous le nom du Titre de la Croix. Le nom de Jérusalem attaché à cette Basilique, nom qui réveille toutes les espérances du chrétien, puisqu’il rappelle la patrie céleste qui est la véritable Jérusalem dont nous sommes encore exilés, a porté dès l’antiquité les souverains Pontifes à la choisir pour la Station d’aujourd’hui. Jusqu’à l’époque du séjour des Papes à Avignon, c’était dans son enceinte qu’était inaugurée la Rose d’or, cérémonie qui s’accomplit de nos jours dans le palais où le Pape fait sa résidence.

Le Dimanche de la Rose.

Rose d’or commandée par le pape Jean XXII (1316-1334) et offerte à Rodolphe III de Nidau.

La bénédiction de la Rose d’or est donc encore un des rites particuliers du quatrième Dimanche de Carême : et c’est ce qui lui a fait donner aussi le nom de Dimanche de la Rose. Les idées gracieuses que réveille cette fleur sont en harmonie avec les sentiments que l’Église aujourd’hui veut inspirer à ses enfants, auxquels la joyeuse Pâque va bientôt ouvrir un printemps spirituel, dont celui de la nature n’est qu’une faible image : aussi cette institution remonte-t-elle très-haut dans les siècles. Nous la trouvons déjà établie dès le temps de saint Léon IX ; et il nous reste encore un sermon sur la Rose d’or, que le grand Innocent III prononça en ce jour, dans la Basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem. Au moyen âge, quand le Pape résidait encore au palais de Latran, après avoir béni la Rose, il partait en cavalcade, la mitre en tête, avec tout le sacré Collège, pour l’Église de la Station, tenant cette fleur symbolique à la main. Arrivé à la Basilique, il prononçait un discours sur les mystères que représente la Rose par sa beauté, sa couleur et son parfum. On célébrait ensuite la Messe.

Quand elle était terminée, le Pontife revenait dans le même cortège au palais de Latran, toujours en cavalcade, et traversait l’immense plaine qui sépare les deux Basiliques, portant toujours dans sa main la fleur mystérieuse dont l’aspect réjouissait le peuple de Rome. A l’arrivée au seuil du palais, s’il y avait dans le cortège quelque prince, c’était à lui de tenir l’étrier et d’aider le Pontife à descendre de cheval ; il recevait en récompense de sa filiale courtoisie cette Rose, objet de tant d’honneurs et de tant d’allégresse.

De nos jours, la fonction n’est plus aussi imposante ; mais elle a conservé tous ses rites principaux. Le Pape bénit la Rose d’or dans la Salle des parements, il l’oint du Saint-Chrême, et répand dessus une poudre parfumée, selon le rite usité autrefois ; et quand le moment de la Messe solennelle est arrivé, il entre dans la chapelle du palais, tenant la fleur mystique entre ses mains. Durant le saint Sacrifice, elle est placée sur l’autel et fixée sur un rosier en or disposé pour la recevoir ; enfin, quand la Messe est terminée, on l’apporte au Pontife, qui sort de la chapelle la tenant encore entre ses mains jusqu’à la Salle des parements. Il est d’usage assez ordinaire que cette Rose soit envoyée par le Pape à quelque prince ou à quelque princesse qu’il veut honorer ; d’autres fois, c’est une ville ou une Église qui obtiennent cette distinction.

Nous donnerons ici la traduction de la belle prière par laquelle le souverain Pontife bénit la Rose d’or : elle aidera nos lecteurs à mieux pénétrer le mystère de cette cérémonie, qui ajoute tant à la splendeur du quatrième Dimanche de Carême. Voici en quels termes cette bénédiction est conçue :

« O Dieu, dont la parole et la puissance ont tout créé, dont la volonté gouverne toutes choses, vous qui êtes la joie et l’allégresse de tous les fidèles ; nous supplions votre majesté de vouloir bien bénir et sanctifier cette Rose, si agréable par son aspect et son parfum, que nous devons porter aujourd’hui dans nos mains, en signe de joie spirituelle : afin que le peuple qui vous est consacre, étant arraché au joug de la captivité de Babylone par la grâce de votre Fils unique qui est la gloire et l’allégresse d’Israël, représente d’un cœur sincère les joies de cette Jérusalem supérieure qui est notre mère. Et comme votre Église, à la vue de ce symbole, tressaille de bonheur, pour la gloire de votre Nom ; vous, Seigneur, donnez-lui un contentement véritable et parfait. Agréez la dévotion, remettez les pèches, augmentez la foi : guérissez par votre pardon, protégez par votre miséricorde ; détruisez les obstacles, accordez tous les biens : afin que cette même Église vous offre le fruit des bonnes œuvres, marchant à l’odeur des parfums de cette Fleur qui, sortie et de la tige de Jessé, est appelée mystiquement la fleur des champs et le lis des vallées, et qu’elle mérite de goûter une joie sans fin au sein de la gloire céleste, dans la compagnie de tous les saints, avec cette Fleur divine qui vit et règne avec vous, en l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Amen. »

Le Dimanche des cinq pains.

Nous avons maintenant à parler d’une autre appellation que l’on a donnée au quatrième Dimanche de Carême, et qui se rapporte à la lecture de l’Évangile que l’Église nous propose aujourd’hui. Ce Dimanche est en effet désigné dans plusieurs anciens documents sous le nom de Dimanche des cinq pains ; et le miracle que ce titre rappelle, en même temps qu’il complète le cycle des instructions quadragésimales, vient encore ajouter aux joies de cette journée. Nous perdons de vue un instant la Passion imminente du Fils de Dieu, pour nous occuper du plus grand de ses bienfaits : car sous la figure de ces pains matériels multipliés par la puissance de Jésus, notre foi doit découvrir ce « Pain de vie descendu du ciel, qui donne la vie au monde [2]Johan VI, 35.. » La Pâque est proche, dit notre Évangile ; et sous peu de jours le Sauveur nous dira lui-même : « J’ai désiré d’un extrême désir manger avec vous cette Pâque [3]Luc. XXII, 15. ». Avant de passer de ce monde à son Père, il veut rassasier cette foule qui s’est attachée à ses pas, et pour cela il se dispose à faire appel à toute sa puissance. Vous admirez avec raison ce pouvoir créateur à qui cinq pains et deux poissons suffisent pour nourrir cinq mille hommes, en sorte qu’après le festin il reste encore de quoi remplir douze corbeilles. Un prodige si éclatant suffit sans doute à démontrer la mission de Jésus ; n’y voyez cependant qu’un essai de sa puissance, qu’une figure de ce qu’il s’apprête à faire, non plus une ou deux fois, mais tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles ; non plus en faveur de cinq mille personnes, mais pour la multitude innombrable de ses fidèles. Comptez sur la surface de la terre les millions de chrétiens qui prendront place au banquet pascal ; celui que nous avons vu naître en Bethléhem, la Maison du pain, va lui-même leur servir d’aliment ; et cette nourriture divine ne s’épuisera pas. Vous serez rassasiés comme vos pères l’ont été ; et les générations qui vous suivront seront appelées comme vous à venir goûter combien le Seigneur est doux [4]Psalm. XXXIII, 9..

Mais remarquez que c’est dans le désert que Jésus nourrit ces hommes qui sont la figure des chrétiens. Tout ce peuple a quitté le tumulte de la ville pour suivre Jésus ; dans l’ardeur d’entendre sa parole, il n’a craint ni la faim, ni la fatigue ; et son courage a été récompensé. C’est ainsi que le Seigneur couronnera les labeurs de notre jeûne et de notre abstinence, à la fin de cette carrière que nous avons déjà parcourue plus d’à moitié. Réjouissons-nous donc, et passons cette journée dans la confiance de notre prochaine arrivée au terme. Le moment vient où notre âme, rassasiée de Dieu, ne plaindra plus les fatigues du corps qui, unies à la componction du cœur, lui auront mérité une place d’honneur au festin immortel.

L’Église primitive ne manquait pas de proposer aux fidèles cet éclatant miracle de la multiplication des pains, comme l’emblème de l’inépuisable aliment eucharistique : aussi le rencontre-t-on fréquemment sur les peintures des Catacombes et sur les bas-reliefs des anciens sarcophages chrétiens. Les poissons donnés en nourriture avec les pains apparaissent aussi sur ces antiques monuments de notre foi, les premiers chrétiens ayant l’usage de figurer Jésus-Christ sous le symbole du Poisson, parce que le mot Poisson, en grec, est formé de cinq lettres dont chacune est la première de ces mots : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. En ce jour, qui est le dernier de la semaine Mésonestime, les Grecs honorent saint Jean Climaque, illustre Abbé du monastère du Mont-Sinaï, au VIe siècle.

A LA MESSE.

Les soixante-dix ans de la captivité seront bientôt écoulés. Encore un peu de temps, et les exilés rentreront dans Jérusalem : telle est la pensée de l’Église dans tous les chants de cette Messe. Elle n’ose pas encore faire retentir le divin Alléluia ; mais tous ses cantiques expriment la jubilation, parce que, dans peu de jours, la maison du Seigneur dépouillera le deuil et reprendra toutes ses pompes.

Introït (Is., 66, 10-11) :
Réjouis-toi, Jérusalem, et rassemblez-vous, vous tous qui l’aimez ; tressaillez de joie avec elle, vous qui avez été dans la tristesse afin que vous exultiez et soyez rassasiés à la mamelle de vos consolations.
(Ps. 121, 1) Je me suis réjoui de ce qui m’a été dit : Nous irons dans la maison du Seigneur.

Dans la Collecte, l’Église confesse que ses enfants ont mérité la pénitence qu’ils s’imposent ; mais elle demande pour eux la faveur de pouvoir aujourd’hui respirer un peu, en se livrant à l’espérance des consolations qui leur sont réservées.

Collecte :
Faites, s’il vous plaît, Dieu tout-puissant, que, justement affligés à cause de nos péchés, nous respirions par la consolation de votre grâce. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

ÉPÎTRE.
Lecture de l’Épitre de Saint Paul Apôtre aux Galates (Gal. 4, 22-31 ) :
Mes frères, il est écrit qu’Abraham eut deux fils, l’un de l’esclave, et l’autre de la femme libre. Mais celui de l’esclave naquit selon la chair ; et celui de la femme libre, naquit en vertu de la promesse. Cela a été dit par allégorie ; car ces femmes sont deux alliances : l’une sur le mont Sina, qui enfante pour la servitude, et c’est Agar ; car Sina est une montagne d’Arabie, qui correspond à la Jérusalem d’à présent, laquelle est esclave avec ses enfants. Mais la Jérusalem d’en-haut est libre, et c’est notre mère. En effet, il est écrit : Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas ; éclate, pousse des cris de joie, toi qui ne deviens pas mère ; parce que les enfants de la délaissée sont plus nombreux que ceux de la femme mariée. Pour nous, mes frères, nous sommes, comme Isaac, les enfants de la promesse. Et de même qu’alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’esprit, ainsi en est-il encore maintenant. Mais que dit l’Écriture ? Chasse l’esclave et son fils ; car le fils de l’esclave ne sera pas héritier avec le fils de la femme libre. Ainsi, mes frères, nous ne sommes point les enfants de l’esclave, mais de la femme libre ; et c’est par cette liberté que le Christ nous a rendus libres.

Réjouissons-nous donc, enfants de Jérusalem et non plus du Sinaï ! La mère qui nous a enfantés, la sainte Église, n’est point esclave, elle est libre ; et c’est pour la liberté qu’elle nous a mis au jour. Israël servait Dieu dans la terreur ; son cœur toujours porté à l’idolâtrie avait besoin d’être sans cesse comprimé par la crainte, et le joug meurtrissait ses épaules. Plus heureux que lui, nous servons par amour ; et pour nous « le joug est doux et le fardeau léger [5]Matth. XI, 30. ». Nous ne sommes pas citoyens de la terre ; nous ne faisons que la traverser ; notre unique patrie est la Jérusalem d’en haut. Nous laissons celle d’ici-bas au Juif qui ne goûte que les choses terrestres, et qui, dans la bassesse de ses espérances, méconnaît le Christ, et s’apprête à le crucifier. Trop longtemps nous avons rampé avec lui sur la terre ; le péché nous tenait captifs ; et plus les chaînes de notre esclavage s’appesantissaient sur nous, plus nous pensions être libres. Le temps favorable est arrivé, les jours de salut sont venus ; et, dociles à la voix de l’Église, nous avons eu le bonheur d’entrer dans les sentiments et dans les pratiques de la sainte Quarantaine. Aujourd’hui, le péché nous apparaît comme le plus pesant des jougs, la chair comme un fardeau dangereux, le monde comme un tyran impitoyable ; nous commençons à respirer, et l’attente d’une délivrance prochaine nous inspire de vifs transports. Remercions avec effusion notre libérateur qui nous tire de la servitude d’Agar, qui nous affranchit des terreurs du Sinaï, et, nous substituant à l’ancien peuple, nous ouvre par son sang les portes de la céleste Jérusalem.

Le Graduel exprime la joie des gentils convoqués à venir prendre place dans la maison du Seigneur, qui désormais est à eux.

Graduel (Ps. 121, 1 & 7) :
Je me suis réjoui de ce qui m’a été dit : Nous irons dans la maison du Seigneur.
V/. Que la paix soit dans tes forteresses, et l’abondance dans tes tours.

Le Trait célèbre la protection de Dieu sur l’Église, la nouvelle Jérusalem qui ne sera point ébranlée comme la première. Cette sainte cité communique à ses enfants la sécurité dont elle jouit : car le Seigneur veille sur son peuple comme sur elle-même.

Trait (Ps. 124, 1-2) :
Ceux qui se confient dans le Seigneur, sont comme la montagne de Sion. Il ne sera jamais ébranlé, celui qui habite dans Jérusalem.
V/. Des montagnes sont autour d’elle ; et le Seigneur est autour de son peuple, dès maintenant et à jamais.

ÉVANGILE.
Lecture du Saint Evangile selon saint Jean (6, 1-15) :
En ce temps-là, Jésus s’en alla au delà de la mer de Galilée ou de Tibériade ; et une multitude nombreuse le suivait, parce qu’elle voyait les miracles qu’il opérait sur les malades. Jésus monta donc sur une montagne, et là il s’assit avec ses disciples. Or la Pâque, jour de fête des Juifs, était proche. Ayant donc levé les yeux, et voyant qu’une très grande multitude venait à lui, Jésus dit à Philippe : Où achèterons-nous des pains pour leur donner à manger ? Mais il disait cela pour l’éprouver ; car, lui, il savait ce qu’il allait faire. Philippe lui répondit : Deux cents deniers de pain ne suffiraient pas pour que chacun en reçût un peu. Un de ses disciples, André, frère de Simon-Pierre, lui dit : Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? Jésus dit donc : Faites asseoir ces hommes. Or il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes. Jésus prit alors les pains et ayant rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des poissons, autant qu’ils en voulaient. Lorsqu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Ramassez les morceaux qui sont restés, pour qu’ils ne se perdent pas. Ils les ramassèrent donc, et ils remplirent douze corbeilles avec les morceaux qui étaient restés des cinq pains d’orge après que tous eurent mangé. Ces hommes, ayant donc vu le miracle qu’avait fait Jésus, disaient : Celui-là est vraiment le prophète, qui doit venir dans le monde. Mais Jésus, sachant qu’ils allaient venir l’enlever pour le faire roi, s’enfuit de nouveau, tout seul, sur la montagne.

Ces hommes que le Sauveur venait de rassasier avec tant de bonté et une puissance si miraculeuse, n’ont plus qu’une pensée : ils veulent le proclamer leur roi. Cette puissance et cette bonté réunies en Jésus le leur font juger digne de régner sur eux. Que ferons-nous donc, nous chrétiens, auxquels ce double attribut du Sauveur est incomparablement mieux connu qu’il ne l’était à ces pauvres Juifs ? Il nous faut dès aujourd’hui l’appeler à régner sur nous. Nous venons de voir dans l’Épître que c’est lui qui nous a apporté la liberté, en nous affranchissant de nos ennemis. Cette liberté, nous ne la pouvons conserver que sous sa loi. Jésus n’est point un tyran, comme le monde et la chair : son empire est doux et pacifique, et nous sommes plus encore ses enfants que ses sujets. A la cour de ce grand roi, servir c’est régner. Venons donc oublier auprès de lui tous nos esclavages passés ; et si quelques chaînes nous retiennent encore, hâtons-nous de les rompre : car la Pâque est la fête de la délivrance, et déjà le crépuscule de ce grand jour paraît à l’horizon. Marchons sans faiblesse vers le terme ; Jésus nous donnera le repos, il nous fera asseoir sur le gazon comme ce peuple de notre Évangile ; et le Pain qu’il nous a préparé nous fera promptement oublier les fatigues de la route.

Dans l’Offertoire, l’Église continue d’employer les paroles de David pour louer le Seigneur ; mais c’est sa bonté et sa puissance qu’elle se plaît à célébrer aujourd’hui.

Offertoire (Ps. 134, 3 & 6):
Louez le Seigneur, car il est bon : chantez à la gloire de son nom, car il est doux : tout ce qu’il a voulu, le Seigneur l’a fait au ciel et sur la terre.

La Secrète demande pour le peuple fidèle un accroissement de dévotion, par les mérites du Sacrifice qui va s’offrir, et qui est le principe du salut.

Secrète :
Jetez un regard favorable sur le présent sacrifice, nous vous en supplions, Seigneur, afin qu’il accroisse notre dévotion et contribue à notre salut. Par Notre-Seigneur.

Préface du Carême .

Dans l’Antienne de la Communion, l’Église exalte la gloire de la Jérusalem céleste, figurée par l’auguste Basilique de Sainte-Croix qui s’honore de ce nom mystérieux. Elle chante l’allégresse des tribus du Seigneur rassemblées dans l’enceinte de ce temple pour y contempler, sous le gracieux symbole de la Rose, le divin Époux de la nature humaine qui attire les fidèles à l’odeur de ses parfums.

Communion (Ps. 121, 3-4) :
Jérusalem qui est bâtie comme une ville, dont toutes les parties se tiennent ensemble. Car c’est là que montaient les tribus, les tribus du Seigneur, pour célébrer votre nom, ô Seigneur !

En ce jour où le divin mystère du Pain de vie est proposé à notre foi et à notre amour, l’Église demande pour nous, dans la Postcommunion, la grâce d’y participer toujours avec le respect et la préparation qui conviennent à un si auguste mystère.

Postcommunion :
Donnez-nous, s’il vous plaît, ô Dieu miséricordieux, de traiter avec un respect sincère vos choses saintes dont nous sommes sans cesse nourris et de nous en approcher avec esprit de foi. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Nous empruntons au Triodion de l’Église grecque les strophes suivantes, qui se rapportent à l’Office d’aujourd’hui, et expriment les sentiments du chrétien, au milieu de la sainte Quarantaine.

Dominica IV Jejuniorum.

Déjà nous avons parcouru plus de la moitié de la carrière du jeûne ; courons dans le stade, et achevons la course avec allégresse ; oignons nos âmes de l’huile des bonnes œuvres, afin que nous méritions d’adorer la divine Passion du Christ notre Dieu, et d’arriver à la sainte Résurrection digne de tous nos hommages.

Celui qui a planté la vigne et appelé les ouvriers, le Sauveur, est proche ; venez, athlètes du jeûne, recevoir la récompense : car il est riche, ce dispensateur, et plein de miséricorde. Nous avons peu travaillé ; et cependant nos âmes recevront ses faveurs.

O Dieu ! qui donnes la vie, ouvre-moi les portes de la pénitence. Mon esprit veille dans ton temple saint ; mais le temple du corps qui lui est uni a contracté un grand nombre de taches. Prends pitié, et purifie-moi dans ta miséricordieuse bonté.

Venez, produisons des fruits de pénitence dans la vigne mystique ; travaillons, ne nous livrons point au manger et au boire ; accomplissons des œuvres de vertu dans la prière et le jeûne. Le Seigneur y prendra plaisir ; et, pour prix de notre travail, il nous donnera le denier qui délivre les âmes de la dette du péché, lui le seul Dieu, lui dont la miséricorde est grande.

Bhx Cardinal Schuster,
in Liber Sacramentorum

Station à Sainte-Croix-en-Jérusalem.
A l’instar des églises byzantines qui, le IVe dimanche de Carême, célèbrent une fête en l’honneur du saint Bois de la Croix, la liturgie romaine dédie ce dimanche, appelé jadis in vigesima, à la célébration des gloires de l’étendard triomphal de la rédemption. Une partie considérable du Bois de la sainte Croix est gardée depuis le temps de sainte Hélène dans la basilique in aedibus sessoriis : d’où le choix de la station de ce jour.

Ce vénérable temple, avec ses sanctuaires ante Crucem et post Crucem veut être à Rome une libre reproduction du Martyrium de Jérusalem. Son titre primitif était Basilica Heleniana, ou, communément, Sancta Hierusalem, d’où les fréquentes allusions à Jérusalem dans la messe de ce dimanche.

Au moyen âge, le Pape allait à la station à Sainte-Croix-en-Jérusalem, tenant en main une rose d’or, dont ensuite il expliquait au peuple la signification mystique. Au retour, il en faisait présent au préfet de Rome ; de là est venu l’usage encore en vigueur, qui veut que la rose d’or bénite par le Pontife soit envoyée en cadeau à quelque prince catholique. Il est difficile de trouver l’origine de cette solennité, qui entoure à Rome d’un caractère spécial le IVe dimanche de Carême. Peut-être dérive-t-elle de la fête byzantine de la mi-carême, mais il ne faut pas rejeter complètement l’hypothèse qui, dans la solennité de ce jour, sous le nom de Dominica in vigesima, reconnaît l’antique caput ieiunii romain, trois semaines avant Pâques.

L’introït est tiré d’Isaïe (LXVI, 10-11), là où le Prophète, entrevoyant les destinées futures de l’Église, exhorte Jérusalem à se réjouir, et invite aussi à faire fête avec elle ceux qui furent jadis dans le deuil à cause d’elle, alors que le Seigneur veut l’inonder de consolation. Le psaume qui suit est le 121e, choisi en raison de la mention fréquente qui y est faite de Jérusalem. Ce jour est proprement la fête de la Sancta Hierusalem.

Nous confessons au Seigneur, dans la collecte, que les fléaux qui nous accablent ne sont que trop mérités par nos péchés. Cela nous est dû en toute justice. Pourtant, nous ne pouvons oublier que Dieu se doit à lui-même d’user de grâce et de bonté à notre égard ; et c’est pourquoi, avec une humble confiance de fils contrits, nous implorons, comme le Prophète pénitent du psaume 50e : redde mihi lætitiam salutaris lui.

La lecture est prise de la lettre aux Galates (IV, 22-31). Il convient qu’en un jour de fête comme celui-ci, l’Église, devant l’étendard triomphal de la rédemption, proclame son propre affranchissement du péché, représenté par la Synagogue, et revendique cette noble liberté à laquelle le Christ l’appela du haut de sa Croix. Comme autrefois Ismaël persécuta le Fils de la promesse, ainsi le monde persécuta le Sauveur et le cloua sur un gibet. Mais le déicide, loin de nuire à la victime, en prépara le triomphe, tandis que les bourreaux, tout comme le fils d’Agar, sont sous le coup de la malédiction divine. La victoire des méchants n’est qu’éphémère et apparente : l’avenir est au Christ et à l’Église, à qui les âmes appartiennent.

Le répons-graduel vient du psaume 121, et loue Jérusalem. La seule annonce du retour de l’exil de Babylone à la Cité sainte remplit de joie l’âme fidèle, qui se sent déjà délivrée des liens du corps et libre de prendre son vol vers le ciel.

Le psaume du trait est le 124e, d’inspiration et de conception presque identique au 121e. La disposition chorographique de la capitale de la Judée devient le type et le symbole de l’âme qui se confie dans le Seigneur. Semblable à la colline de Sion qui est inébranlable, l’espérance en Dieu empêche la foi du juste de vaciller ; de même que les collines environnent Jérusalem, ainsi la grâce du Seigneur forme une muraille de bronze autour de son peuple, afin que ses ennemis ne l’attaquent pas.

En ce jour où, par respect pour la solennité dominicale, est suspendu le jeûne, — non pas l’abstinence de chair, qui, pour les anciens, durait, rigoureuse, tout le Carême, comme maintenant encore chez les Russes et les Orientaux, — l’Église nous invite presque à prendre saintement un peu de répit pour poursuivre ensuite avec plus d’énergie, le cycle de la pénitence. La liturgie, dans ce but, évoque pour nous le souvenir de Jésus qui, dans le désert, multiplie les pains (Ioan, VI, 1-15) et les poissons afin de rassasier cinq mille personnes. Cette nourriture figure la parole de Dieu, nourriture de l’âme, mais elle symbolise aussi les biens matériels que la divine Providence ne manque pas de nous distribuer avec libéralité pour le soulagement de la nature. Il ne convient pas, en effet, que, exagérant le spiritualisme, on sépare ce que Dieu a joint. La nature est le point d’appui et la base de l’ordre surnaturel et de la grâce ; aussi, tout en mortifiant nos appétits désordonnés, faut-il toujours satisfaire les exigences légitimes de notre faible humanité. Communément parlant, sauf d’évidentes exceptions en faveur d’âmes privilégiées prévenues par la grâce, les maîtres de la vie spirituelle insistent beaucoup sur la vertu de discrétion, qui est le juste milieu entre deux excès contraires. Quelques-uns pour avoir témérairement tenté de s’en passer dans les choses spirituelles, ont donné raison au proverbe : Qui veut faire l’ange finit par faire la bête.

L’antienne de l’offertoire est tirée du psaume 134 : « Louez le Seigneur parce qu’il est bon ; chantez en son honneur, parce qu’il est doux. Il a fait ce qu’il a voulu au ciel et sur la terre. » Dieu est terriblement puissant, mais cette puissance infinie s’identifie en Lui avec un amour et une suavité infinies ; aussi ne devons-nous jamais séparer dans nos considérations un attribut de Dieu d’avec l’autre. Une justice infinie nous épouvante, mais quand cette justice est la bonté elle-même et la miséricorde, elle nous inspire le respect filial qui est un mélange harmonieux de sainte crainte et d’amour.

La collecte sur les oblations est la même que pour le IVe dimanche de l’Avent, qui, à l’origine, n’avait pas de messe propre.

Le verset pour le psaume (121) de la communion recommence à chanter les gloires de la mystique cité de Dieu, la Jérusalem céleste. Elle s’élève sur la montagne de la foi, à l’égal d’une ville munie de tours ; ses artères communiquent entre elles moyennant le lien de la charité, par quoi les saints sont unis entre eux. A travers ses douze portes apostoliques, toutes les tribus du Seigneur entrent pour glorifier le nom de Dieu.

La collecte veut obtenir du Seigneur que la fréquente participation du Sacrement nous confère les dispositions eucharistiques, c’est-à-dire la grâce de recevoir Jésus dans un cœur pur, et avec une volonté docile. La meilleure préparation à la communion de demain, c’est d’en bien faire une aujourd’hui.

Combien est différente la mesquine providence des hommes de celle, si magnifique, de Dieu ! La charité de Philippe et des apôtres ne va pas au delà de la compréhension de la difficulté qu’il y a à ravitailler cette foule nombreuse. Qu’y puis-je, moi ? disent encore aujourd’hui tant d’âmes bonnes, mais inertes. Jésus, au contraire, ne nous refuse jamais son aide, et, quand la nature a épuisé ses ressources, il recourt aux miracles de sa Toute-Puissance divine.

Dom Pius Parsch,
le Guide dans l’année liturgique

QUATRIÈME SEMAINE DE CARÊME

La fête de Pâques est proche. Dans une joie enfantine, l’Église commence à compter les jours. De même qu’au troisième dimanche de l’Avent nous avons éprouvé et célébré par avance la joie de Noël, nous goûtons par avance, durant ce dimanche, la joie de la fête de Pâques. C’est là toute sa signification. Il apporte aux catéchumènes un avant-goût de tous les biens qu’ils recevront à Pâques : la liberté des enfants de Dieu, l’amour maternel de l’Église, l’Eucharistie qui est la véritable manne. Quant à nous, les fidèles, nous prenons une conscience nouvelle de ces biens.

Ce dimanche a, en outre, une certaine ressemblance avec le second dimanche (le premier et le troisième peuvent eux aussi être mis en parallèle). Le second dimanche, la Transfiguration était aussi une anticipation de Pâques : les messes de la seconde semaine de Carême mettent au premier plan le thème de la Passion ; c’est aussi le cas pour les messes de la quatrième semaine. On peut les résumer ainsi : Passion du Christ et baptême.

Pensées principales de la semaine qui commence. — Dimanche : Les trésors de l’Église. — Lundi : Les juifs détruisent le temple du Christ. — Mardi : Le Christ, second Moïse, prie pour son peuple infidèle. — Mercredi : Le Christ donne l’« illumination ». — Jeudi et vendredi : Le Christ est celui qui ressuscite les catéchumènes et les pénitents. — Samedi : Le Christ apporte la lumière et l’eau.

QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME

STATION A SAINTE-CROIX DE JÉRUSALEM

Jérusalem, notre Mère.

Pâques va bientôt venir. Telle est la pensée nouvelle qui domine et influence la liturgie d’aujourd’hui. C’est cette pensée qui explique tous les autres thèmes et toutes les autres pensées de la journée : le Christ, le nouveau Moïse, donne aux siens la manne céleste, l’Eucharistie ; il les conduit dans la Jérusalem céleste, l’Église, et en fait de libres enfants de Dieu.

1. Un jour de joie — Ce dimanche a une situation tout à fait spéciale dans l’année liturgique : un dimanche de joie en plein Carême ! Le prêtre peut porter un ornement rose, les orgues jouent, le diacre et le sous-diacre peuvent revêtir des vêtements de joie et tous les textes ont le ton de la joie. La messe commence par un cri de joie : « Lætare — réjouis-toi ». Les motifs de la joie de l’Église sont les suivants :

a) Dans les temps antiques, le jeûne pascal ne commençait à Rome que le lendemain : ce dimanche était donc une sorte de dimanche de Carnaval. Plus tard, quand le Carême dura 40 jours, ce fut le dimanche de Mi-Carême et on en fit un jour de détente dans la sévérité du Carême.

b) L’Église ancienne se réjouissait au sujet des catéchumènes, dont la renaissance spirituelle était imminente : c’est la joie maternelle de l’Église (c’est du reste cette pensée qui donne à l’antique liturgie du Carême une impression joyeuse).

c) Ce dimanche est une fête de Pâques anticipée ; nous ne pouvons plus réprimer la joie de l’attente. Ce jour est aussi la fête du printemps ; l’Église se réjouit de la résurrection de la nature, dans laquelle elle voit encore une image de la résurrection du Christ et de l’âme. C’est pourquoi, à Rome, on apportait aujourd’hui les premières roses à l’Église ; les chrétiens, mais surtout les catéchumènes, s’offraient mutuellement des roses. C’est ce qui explique aussi l’antique usage de la bénédiction de la rose d’or par le Pape. La rose est le symbole du Ressuscité, mais aussi de la joie chrétienne.

d) Enfin, ce jour est aussi un dimanche eucharistique : le Christ est sur le point de fonder sa famille ; c’est au prix de son sang qu’il nous gagne notre pain quotidien, ce pain doit être un fruit de sa Passion ; c’est ce que nous indique l’Évangile. Le Christ est le nouveau Moïse, (le Patriarche de cette semaine) qui, dans le désert de la vie, nous présente la manne céleste. Il y a donc des motifs de joie en abondance : joie pascale, joie maternelle, joie du printemps, fête eucharistique.

2. Le thème de la station. — Pour comprendre cette journée liturgique, il est très important de songer à l’église de station. C’est « Sainte-Croix de Jérusalem » ; dans l’antiquité, on disait simplement « Jérusalem ». Aux yeux des chrétiens de Rome, cette église était le symbole de la Jérusalem messianique (l’Église) et de la Jérusalem céleste. En ce jour, les catéchumènes étaient, pour ainsi dire, introduits solennellement dans la Jérusalem de la chrétienté. L’église de station a exercé une grande influence sur le formulaire de la messe. Tous les chants traitent de Jérusalem. Le psaume directeur, 121 : « Je me suis réjoui de la joyeuse nouvelle : Nous nous rendons dans la maison de Dieu. » Jérusalem, ville bien bâtie, était vraiment l’expression de l’allégresse des catéchumènes et des chrétiens. L’Épître, elle aussi, compare, sous la figure des deux femmes d’Abraham, l’Église et la synagogue, la Jérusalem céleste et la Jérusalem juive. L’église de station doit rappeler aux chrétiens et aux catéchumènes qu’ils ont une bonne Mère : la sainte Église. Aujourd’hui devrait se lire, en lettres d’or, sur le portail de notre église paroissiale : Jérusalem, notre Mère.

3. La messe (Laetare). — L’Introït est un appel à l’allégresse pascale. La « tristesse » du Carême approche de sa fin ; bientôt, les nouveaux enfants seront nés (baptême) et ils se « rassasieront sur le sein de l’Église » (Eucharistie). Le psaume 121 se rattache au symbole de l’entrée du prêtre : c’est ainsi qu’entreront les néophytes, vêtus de blanc, dans la nuit pascale ; c’est ainsi que nous entrerons, un jour, dans le sanctuaire du ciel (il faudrait réciter le psaume entier). — Ce dimanche est un moment de détente dans le Carême de la vie. C’est ce que nous indique le mot « consolation », dans l’oraison.

Dans le symbole profond des deux femmes d’Abraham, Sara et Agar, l’Église veut nous montrer, ainsi qu’aux catéchumènes, le bonheur de notre état de chrétiens. Ce bonheur est encore plus accentué par le contraste avec le judaïsme : nous sommes de libres enfants de Dieu, les héritiers du ciel. La Jérusalem céleste est notre Mère et nous sommes ses enfants : cette liberté nous a été apportée par le Christ (Épître).

Le Graduel et le Trait sont un chant de joie en l’honneur de notre Mère qui est pour nous un mur de protection dans tous nos combats.

L’Évangile nous représente, d’une manière dramatique, la célébration eucharistique qui va suivre : « La Pâque est proche » (chaque messe est Pâques). Le Christ accomplit pour nous, la communauté rassemblée, le miracle de la multiplication des pains et des poissons (les deux symboles eucharistiques de l’arcane), et nous donne un avant-goût de la fête de Pâques. A la Procession de l’Offrande, nous chantons le bon Maître qui nous donne la « douceur » de son pain (le beau texte, dans toute son extension, parle aussi de Jérusalem). En nous rendant à la Communion, nous chantons, pour la troisième fois aujourd’hui, le cantique de pèlerinage vers la Jérusalem céleste.

4. Moïse. — L’Église nous présente, aujourd’hui, le sixième et dernier Patriarche, le grand Moïse. C’est l’un des plus grands hommes de tous les temps, c’est l’ami de Dieu, le législateur du peuple juif et son conducteur à travers le désert. Il est aussi la figure du Christ : le Seigneur dit lui-même : « ce n’est pas Moïse qui vous a donné le vrai pain ; le vrai pain, c’est mon Père qui vous le donne » (Jean VI, 32). En ce dimanche de la multiplication des pains, Moïse est le type du Christ qui donne la manne céleste. L’Église désire que pendant toute la semaine qui commence, nous méditions sur la grande figure du Patriarche.

Le second nocturne de Matines nous offre une prédication du grand docteur de l’Église, saint Basile, sur le jeûne :

Nous savons de Moïse que c’est en jeûnant qu’il est monté sur la montagne (du Sinaï). Il n’aurait pas osé s’approcher du sommet environné de fumée, s’il n’avait pas puisé de la force dans le jeûne. Parce qu’il avait jeûné, il reçut les tables de la Loi écrite par le doigt de Dieu. Le jeûne procura donc, sur la montagne, l’établissement de l’Ancienne Alliance, mais la gourmandise, dans la plaine, entraîna le peuple à l’idolâtrie. Les fatigues et l’endurance de quarante jours, pendant lesquels le serviteur de Dieu jeûna constamment, furent anéantis par une seule intempérance du peuple. Cela nous fait voir, quand on compare les deux faits, comment le jeûne mène à Dieu, alors que la recherche des jouissances fait perdre le salut. Le jeûne a produit des hommes de Dieu, il affermit et fortifie les forts. Le jeûne apporte la sagesse aux législateurs ; il est pour l’âme la meilleure protection, il chasse les tentations, donne des armes pour la piété, il est le fondement de la continence ; il donne la bravoure aux guerriers ; dans la paix, il enseigne le repos ; il donne la perfection aux prêtres, il est, en effet, défendu de toucher au sacrifice sans jeûne. »

Ce qui nous montre l’importance de Moïse dans la liturgie du Carême, c’est qu’elle lui consacre, pendant cette semaine, quinze répons différents.

5. Les biens du royaume de Dieu. – « La fête de Pâques est proche », tel est le joyeux message que développe la liturgie ; elle énumère les biens et les avantages contenus dans ce message. Examinons les trois que renferment les trois lectures principales. Ce sont, Moïse, Jérusalem et la manne ou, pour parler sans figure : le Christ, l’Église et l’Eucharistie.

a) Moïse est la figure du Christ. Il a été choisi par Dieu pour être le sauveur, le guide, le nourricier et le docteur du peuple élu. Après un dur combat avec le pharaon, il délivra son peuple de la servitude de l’Égypte, dans cette nuit fameuse de la Pâque, après lui avoir fait immoler et manger l’agneau pascal. Il fit traverser à son peuple la Mer Rouge à pied sec, le conduisit à travers le désert, le nourrit de la manne et l’abreuva de l’eau jaillie du rocher ; il lui donna la Loi et les commandements sur le Sinaï ; il s’entretint avec Dieu ; il fut le médiateur et l’intercesseur d’Israël ; il lui fallut une indicible patience pour supporter les faiblesses de son peuple.

En tout cela, Moïse est la figure du Christ. Envoyé par son Père dans le monde, le Christ lutte contre l’infernal Pharaon ; dans la nuit pascale, il fait sortir son peuple de l’Égypte ; il est lui-même l’Agneau pascal qui est immolé et mangé. Il fait passer son peuple à travers la Mer rouge du Baptême, après avoir traversé, le premier, la Mer rouge de la Passion. Et maintenant, il nous guide à travers le désert de la vie, nous nourrit et nous abreuve de la manne et de la source vivifiante de l’Eucharistie. C’est avec une patience indicible qu’il nous conduit vers la terre promise du ciel. Chrétiens, la fête de Pâques approche, le divin Moïse nous fait sortir de l’Égypte.

b) Or, avant de pouvoir entrer dans la terre promise du ciel, nous avons besoin, sur la terre, d’une patrie, d’une mère. Cette patrie, c’est notre Jérusalem ; cette mère, c’est la sainte Église. Quelle importance a pour nous la Jérusalem sainte, l’Église ? L’Église n’est pas une simple société, une organisation. Si nous voulons saisir sa réalité profonde, voyons en elle le corps du Christ, le Christ mystique. Ce corps croît dans ses membres. Ces membres, ce sont les chrétiens, ce sont aussi les saints du ciel. A travers ces membres, circule la sève vitale divine, comme la sève de la vigne circule dans les sarments. Chacun d’entre nous est donc membre du Christ.

Voyons encore, dans l’Église, l’Épouse du Christ. La synagogue était aussi l’épouse de Dieu, mais c’était une esclave, comme Agar, la femme esclave d’Abraham. L’Église est une princesse, une reine de noble naissance, qui porte sur son front une brillante couronne. C’est pourquoi ses enfants sont des princes, et nous sommes ces enfants. Voyons, enfin, en elle le vestibule du ciel, la sainte Jérusalem « descendue du ciel ». L’image de cette Jérusalem, de cette Église, c’est la maison de Dieu, aujourd’hui plus que jamais. Aujourd’hui, notre église paroissiale est, dans le sens le plus élevé, la sainte Jérusalem. Dès notre réveil, que notre première pensée soit : « Je me suis réjoui de la bonne nouvelle, nous allons nous rendre à la maison de Dieu. » disaient autrefois les Juifs exilés s’applique aussi à l’Église : « Si jamais je t’oublie, Jérusalem, que ma droite se dessèche, que ma langue se colle à mon palais… » Chrétiens, la fête de Pâques approche. Pénitents et catéchumènes, nous allons retrouver une mère aimante, la sainte Église.

c) Ce que la liturgie nous a dit sous la figure de Moïse, elle nous le présente sous un jour nouveau dans l’Évangile de la multiplication des pains. Le Christ, nouveau Moïse, nous donne, dans le désert terrestre, la véritable manne, la sainte Eucharistie. Lui-même se réfère à la figure dans le discours qu’il fit, peu de temps après la multiplication des pains, dans la synagogue de Capharnaüm : « Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le vrai pain du ciel ; le vrai pain du ciel, c’est mon Père qui vous le donne… Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts. Voici le pain descendu du ciel afin qu’on en mange et qu’on ne meure point. » L’Évangile d’aujourd’hui veut nous indiquer le troisième don de Pâques, que nous offre le Seigneur. Il lui a coûté tant de souffrances et de douleurs ! Recevons-le de nouveau à Pâques et bénissons la main qui nous le donne. »

Source Introïbo

Notes   [ + ]

1. Ici, Dom Guéranger fait allusion à un usage aboli sous Jean XIII : pendant les temps de pénitence, la dalmatique et la tunique étaient remplacées par ce qu’on appelle des chasubles pliées.
2. Johan VI, 35.
3. Luc. XXII, 15.
4. Psalm. XXXIII, 9.
5. Matth. XI, 30.