Le tortueux chemin de Damas de Frédéric Pons (et d’autres)

Excellent article d’Infosyrie sur le retournement de veste du « spécialiste » des pages « Etrangers » de Valeurs Actuelles.

Difficile (de plus en plus) pour des conservateurs de droite de soutenir ce genre d’opposants syriens, même si Sarkozy et Juppé continuent de l’ordonner….

Décidément, c’est le proverbe – arabe – qui a raison : « Assieds-toi au bord de l’oued et tu verras passer le corps de tes ennemis« . Les cadavres de leur arrogance, de leur prédictions ou de leurs mensonges à tout le moins. Ainsi, c’est un plaisir de plus en plus affirmé que de lire les éditoriaux d’un Frédéric Pons, patron des pages « Étranger » de l’hebdomadaire « 2/3 UMP, 1/3 FN » Valeurs actuelles. Les plus anciens lecteurs d’Infosyrie se souviennent peut-être que nous avons assez tôt épinglé F. Pons pour ses analyses et articles aussi anti-Bachar que ceux pouvaient commettre n’importe quel plumitif citoyen du Monde ou de Libération. Évidemment, Pons exprimait là une ligne habituelle à la droite pro-américaine et sioniste dont il est l’un des porte-parole les plus en vue (enfin, tout est relatif).

Lucidité tardive ou opportunisme ?

Mais le régime syrien s’obstinant à ne pas tomber et l’opposition CNS/ASL faisant au fil des mois la démonstration de plus en plus évidente de sa non fiabilité politique et même de sa dérive islamiste et terroriste, Frédéric Pons a dû mettre de plus en plus d’eau dans son whisky atlantiste. Fin février 2012, notamment, alors que l’armée s’apprêtait à mettre fin à la terreur ASL à Bab Amr, le « M. Politique étrangère » de V.A. commençait à mettre en garde contre les lendemains qui ne chanteraient pas tant que ça en cas de chute de Bachar al-Assad et se permettait une petite pique contre « les va-t-en-guerre des droits de l’homme« , lui le va-t-en guerre de l’OTAN et le thuriféraire de Sarkozy. Il est vrai que Pons s’était quand même aperçu que la Syrie n’était pas la Libye, tant à cause de son armée, que de son environnement géopolitique et de ses minorités. C’est évidemment le sort de la minorité chrétienne qui gênait le plus Pons et ses pairs aux entournures.

Six mois plus tard, les conséquences de la chute éventuelle de Bachar demeurent les mêmes, mais en plus l’opposition syrienne s’est un peu plus enfoncée dans l’impuissance politique et le sang, et la Syrie réelle résiste plus que jamais à toutes les tentatives de déstabilisation. À tel point que nombre des défenseurs français du CNS et de l’ASL, surtout à droite, ne sont plus si « chauds » pour agiter le drapeau vert-blanc-noir de la « révolution« . Qui sent décidément un peu trop le patchouli islamiste ou l’or noir du Qatar pour les délicates narines occidentales de ces messieurs les analystes pro-UMP et pro-OTAN. Elle sent aussi de plus en plus la « loose » comme diraient les jeunes, et les mandarins de la grande presse de droite n’aiment pas non plus cette odeur.

Bref dans un texte mis en ligne le 30 août sur le site de V.A., Pons se scandalise tout d’un coup de la différence de traitement par ses confrères des drames syrien et congolais : car au Congo, rappelle F.Pons, un conflit ethno-politique a fait quand même 3 millions de morts en dix ans, quand le drame syrien – un peu plus médiatisé – n’en a fait que 25 000. 25 000 selon les comptes truqués de l’OSDH à propos duquel Pons, qui décidément jette sa gourme, écrit : « Précision utile ; cet OSDH fournisseur de bilans est sous le contrôle de l’opposition, financée par le Qatar« .

Bravo, Patrick, ça c’est de l’analyse ! Quelle lucidité et quelle audace, et tout ça avec seulement une grosse quinzaine de mois de retard sur Infosyrie ! Décidément, ce n’est pas grave que nous soyons des amateurs quand Pons et ses collègues de la grande presse sont des « professionnels » !

Dans la deuxième partie de son texte, Pons  fait le moraliste désabusé par la logique diplomatique du « deux poids-deux mesures », et par la sélectivité de l’indignation occidentale, sélectivité dont lui-même n’a pas été exempt dans sa longue carrière, de l’Irak à la Palestine occupée. Mais enfin aujourd’hui, l’éditorialiste de V.A. va jusqu’à stigmatiser « l’hypocrisie des responsables (français) qui fondent une politique extérieure sur le seul critère des droits de l’homme sans en prévoir le coût et les conséquences« . Et d’ajouter : « L’intervention en Libye ne semble pas avoir servi de leçon qui sonnent aujourd’hui du clairon pour Alep, dans une guerre qui servirait d’autres intérêts que les nôtres« . Pons jette au passage un coup de griffe au registre de l’émotion qui tient lieu d’analyse aux journalistes et politiques français.

De tout cela,; on pourra dire que c’est bien vu, mais un peu tardif. Un peu suspect aussi de la part d’un ferme soutien de Sarkozy/Juppé qui sur le dossier syrien ne se différencient en rien de Hollande/Fabius. On aimerai savoir si M. Pons fustige les politiques parce qu’ils sont irresponsables ou parce qu’ils sont de gauche.

Certains nous trouveront un peu sévère avec un homme qui « évolue bien ». Mais il y a des évolutions qui sentent plus l’opportunisme que le courage et l’honnêteté. Si Bachar était dans une situation critique et Sarkozy toujours président, quelle chanson nous chanterait aujourd’hui Frédéric Pons ?

L’opposition syrienne lasse, déçoit, inquiète…

Gérard de Villiers a remis les pendules à l’heure le 4 septembre chez Frédéric Taddeï, face à la lamentable Florence Aubenas

Disons simplement que cet opportunisme là est bon signe pour la Syrie. Et que l’évolution de Pons, loin d’être anecdotique, est riche d’enseignement, et s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement assez général, au moins à droite : autre collaboratrice de première classe de Valeurs Actuelle, Christine Clerc s’inquiétait elle aussi, voici 15 jours, des conséquences d’une éventuelle victoire des révolutionnaires syriens et relayait un appel lancé dans le Monde par deux députés français, l’un PS l’autre UMP, contre le caractère islamiste intolérant d’une partie des adversaires de Bachar. De son style inimitable de grande bourgeoise comme il faut, Christine Clerc qualifiait, du haut de son ignorance, le régime syrien d »abominable« , mais suggérait qu’il l’était somme toute un peu moins que son opposition armée. Une sorte de « ni…ni » de repli, en quelque sorte.

Des réactions et des évolutions comme celles-ci sont à rapprocher de la récente interview de Jamil Sayyed dans le Figaro (voir notre article « Réinformation : ça bouge de plus en plus à droite », mis en ligne le 6 septembre 2012), ou de certains articles, dans les mêmes pages, d’un Georges Malbrunot. Ou encore dans la prestation récente, lors de l’émission de Frédéric Taddeï sur Fr3, du journaliste et romancier Gérard de Villiers qui lui a eu assez tôt la bonne vision de la crise syrienne. Ou aussi du long et implacable réquisitoire contre la diplomatie française signé le 4 septembre sur le blog de Malbrunot par Alain Chouet, ancien haut responsable de la DGSE, et intitulé : « Nos ministres sont-ils mal conseillés ou naïfs sur la Syrie ? »

La tendance de la rentrée est donc à un certain « recul » sur la contestation et l’opposition syriennes, même si politiquement correct oblige Bachar al-Assad va demeurer un méchant de la dramaturgie médiatique française. Au moins à droite, anti-islamisme oblige. Mais « à gauche » même les « lobobotomisés » d’I-Télé devront prendre tôt ou tard leurs distances d’avec cette opposition syrienne de moins en moins « sortable » selon les critères occidentaux. On ne peut exclure d’ailleurs que les féministes montent un jour au créneau pour défendre – un peu tard – les libertés de la femme syrienne. Ou certains gauchistes pour dénoncer le « fascisme vert ». Asseyons-nous au bord de l’oued….

On a beau être pro-américain et sioniste à Valeurs Actuelles et au Figaro, on n’est plus sûr de vouloir échanger Bachar contre ça…