Gouvernement : l’étrange nomination de Jean-Marie Le Guen à la Francophonie

Le ministre est accusé par les journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot, dans leur livre Nos très chers émirs, d’avoir voulu « imposer une agence de communication pour gérer des déclarations d’hommes politiques, pour contrôler un peu les déclarations au Parlement qui seraient critiques vis-à-vis du Qatar ». Il s’agissait de « faire travailler des proches en échange de son soutien ». Alors que les journalistes disent détenir les preuves de leurs accusations, et que le ministre n’a toujours pas porté plainte pour diffamation, Flamby vient de nommer Le Guen comme secrétaire d’Etat à la Francophonie.

« Dès l’annonce du remaniement, l’échange des portefeuilles d’André Vallini et Jean-Marie Le Guen a fait tiquer. Secrétariat d’Etat en charge des relations avec le Parlement pour le premier, contre secrétariat d’Etat au Développement et à la Francophonie pour le second. La passation de pouvoir a eu lieu ce mercredi matin.

Pas de souci pour Vallini, il est de tradition républicaine que le nouveau Premier ministre, en l’occurrence Bernard Cazeneuve, choisisse la personne qui fera le lien avec le Parlement. La nomination de Jean-Marie Le Guen est plus étonnante, car source de controverse. Accusé par les journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot, dans leur livre Nos très chers émirs, paru le 20 octobre, d’avoir œuvré en faveur des intérêts du Qatar contre rémunération, le député de Paris a été directement interrogé sur le sujet ce mercredi par le député LR Georges Fenech.
« Vous allez donc devenir entre autres et au nom de la France l’interlocuteur privilégié des pétromonarchies du Golfe », a lancé l’élu du Rhône. Jean-Marie Le Guen a répondu en menaçant de poursuites judiciaires, de même qu’il a assuré avoir porté plainte contre les deux journalistes, ce que ces derniers démentent. Mais l’AFP a indiqué avoir reçu de la part de ses avocats, Mes Jacqueline Laffont et Pierre Haïk, le récépissé d’une plainte enregistrée le 27 octobre auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris.

Comment interpréter cette nomination, qui risque de mettre en porte-à-faux le nouveau secrétaire d’Etat à la Francophonie, et le reste du gouvernement, pendant les cinq mois de travail qu’il reste ? L’Elysée assure que Le Guen a été choisi pour ses compétences en matière de « développement de la Francophonie à travers son expérience des questions de santé et de parlementaire ».
François Hollande craignait que Le Guen ne soit un nouveau Cahuzac
Cette mutation ressemble pourtant à une faveur accordée à Manuel Valls, dont Jean-Marie Le Guen est l’un des plus fervents soutiens. Son entrée au gouvernement en 2014, le docteur en médecine la doit déjà à l’ex-Premier ministre : « Le seul nom que Manuel ait souhaité avancer pour cette responsabilité-là, en disant : “J’ai absolument besoin de quelqu’un de confiance”, c’est Jean-Marie Le Guen », racontait alors François Hollande aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, propos rapportés dans Un président ne devrait pas dire ça.
François Hollande se questionnait déjà à l’époque sur le risque que Le Guen, ancien médecin concerné par l’ISF, soit un nouveau Jérôme Cahuzac. Il avait posé comme condition à sa nomination un contrôle approfondi de la véracité de son patrimoine : « On a fait les vérifications. On a tout vérifié, il a un gros patrimoine, mais ce n’est pas un problème », assurait Valls dans la foulée de son arrivée à Matignon. Raté : en juin 2014, trois mois après l’entrée en fonction de Jean-Marie Le Guen, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique notait que le nouveau secrétaire d’Etat avait sous-évalué ses biens d’environ 700 000 euros.
Entre cette menace de redressement fiscal, sa mise en examen dans les années 1990 dans le cadre de l’affaire de la MNEF (qui a abouti à un non-lieu pour lui, et à une condamnation pour Jean-Christophe Cambadélis) et les actuelles accusations de corruption à son endroit, Jean-Marie Le Guen a un profil sensible. Et le rôle qu’il joue auprès de Manuel Valls questionne. Sa nouvelle place au secrétariat à la Francophonie est idéale pour le candidat à la primaire socialiste. « Disons que ce n’est pas handicapant, bien au contraire, euphémise Philippe Doucet, député PS et soutien de l’ancien maire d’Evry. Manuel Valls est très attaché à la francophonie, il en a parlé dans sa déclaration de candidature. »
« La Françafrique, c’est terminé ! »
Valls semble effectivement entretenir un lien particulier avec plusieurs pays africains francophones. « La Françafrique, c’est terminé ! Pour autant, la France, pays ami de l’Afrique, a à cœur de faire progresser les principes démocratiques, qui sont dans l’intérêt de tous les peuples. Je continue de penser que la France doit assumer ses responsabilités sur le continent africain », expliquait-il dans un long entretien à Jeune Afrique en septembre, avant une série de visites diplomatiques dans l’ouest du continent.
Le 30 novembre dernier, il présidait en temps que chef du gouvernement un comité interministériel, en présence du prédécesseur de Le Guen, André Vallini, au cours duquel il a « réaffirmé la priorité accordée à l’Afrique, continent auquel seront consacrés au moins 20 milliards d’euros de financement entre 2014 et 2018 […] en particulier dans l’espace francophone ».
Ce tropisme africain est ancien, explique le journaliste Antoine Glaser, spécialiste du continent et auteur d’Africafrance : « Il avait déjà des réseaux à la mairie d’Evry. Je me souviens y avoir assisté à un colloque en présence d’Ibrahim Boubacar Keïta, avant qu’il ne devienne président du Mali. Valls a aussi remis la légion d’honneur à l’homme d’affaires Jean-Yves Ollivier [ proche d’Anne Gravoin, épouse du socialiste], grand ami du président du Congo-Brazzaville Denis Sassou-Nguesso. »

Son vieil ami Stéphane Fouks, vice-président du puissant groupe de communication Havas, employé par plusieurs dirigeants africains, ainsi que son témoin de mariage, le Mauritanien Ibrahima Diawadoh N’Jim, dont L’Express dressait un portrait de conseiller officieux, complètent le clan Valls.
Le Guen au Togo en mai pour préparer la visite de Valls
Le nouveau secrétaire d’Etat chargé de la Francophonie est aussi un relais important pour lui. « Le Guen connaît bien un certain nombre de dirigeants africains. Et quelqu’un comme Valls sait que n’importe quel candidat à la présidentielle française a besoin de soutiens sur ce continent », glisse Antoine Glaser. Le Premier ministre avait embarqué dans sa valise Jean-Marie Le Guen lors de la tournée fin octobre qui les a menés au Togo, au Ghana et en Côte d’Ivoire. À cette occasion, la caméra de Quotidien avait saisi un instant cocasse entre les deux hommes, et le journaliste de l’émission avait tenté à plusieurs reprises de comprendre la raison de cette présence, sans obtenir de réponse claire.

En mai, Le Guen s’était déjà discrètement rendu pendant deux jours à Lomé, capitale du Togo, accompagné par trois députés PS. Quel intérêt le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement avait-il à multiplier les séjours diplomatiques dans ces pays ?
Le député socialiste du Cantal Alain Calmette, qui était du voyage les 13 et 14 mai, se rappelle « de rapports sur les deux assemblées nationales, avec des échanges sur la manière dont sont élaborées les lois en France, pour comparer avec la manière dont cela se fait au Togo ». L’élu ajoute que Le Guen avait pour mission de préparer la venue de Valls six mois plus tard. « C’est hallucinant ce voyage au Togo, qu’est-ce qu’on va faire dans ce pays où la France n’a quasiment pas d’intérêt économique, aucun intérêt stratégique et dirigé par un Faure Gnassingbé aux pratiques plus que contestables ? », commente après-coup un ancien diplomate cité par Mediapart.
« Il sait comment ramener de l’argent »
« Jean-Marie Le Guen a un rôle étrange, que ce soit en Afrique ou au Moyen-Orient », juge Christian Chesnot, coauteur du livre qui a jeté le soupçon sur les liens de l’ancien député avec le Qatar. Pourquoi donc François Hollande et Bernard Cazeneuve auraient-ils fait à Manuel Valls le cadeau de placer l’un de ses « lieutenants africains » pile-poil au Développement et à la Francophonie ? « Le Guen connaît beaucoup de secrets du PS, il a des relations, c’est un personnage important en coulisses. Il sait comment ramener de l’argent en vue des campagnes électorales. Il valait mieux le garder. Le « recasage » est facile », ajoute le journaliste de France Inter.
Son collègue du Figaro et coauteur de Nos très chers émirs, Georges Malbrunot, expliquait au Point dès l’annonce de sa nomination qu’« effectivement, derrière le « Développement » se cachent des relations parfois troubles avec un certain nombre de pays d’Afrique notamment, ainsi que du Moyen-Orient. Jean-Marie Le Guen pourra donc continuer […] d’exploiter ses connaissances, quand il ne s’agit pas comme dans le cas du Qatar d’un véritable trafic d’influence. » Homme de réseaux, il pourra à ce poste garnir et jouer de son carnet d’adresses, pour aider Manuel Valls à entretenir le sien en Afrique, mais aussi en cas de reconversion dans cinq mois.
Dans son livre Une phobie française, l’éphémère secrétaire au Commerce extérieur Thomas Thévenoud rapportait ainsi les rêves et aspirations de son collègue socialiste, exprimés lors d’un Conseil des ministres d’août 2014 : « Quoi qu’il arrive, tu as réussi ta vie ! Quand tu ne seras plus ministre, tu seras recruté par une grande boîte pour ton carnet d’adresses à l’international. Tu vas te faire un max de pognon, mon gars. Qu’est-ce que j’aurais aimé être à ta place. »

 

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