Du cannabis « made in Germany », par Laurent Glauzy

[Contre-info vous proposera désormais de temps en temps des textes du journaliste et écrivain Laurent Glauzy. On peut retrouver ses livres en fin d’article.]

Début mai, dans le village de Fohrde du Land de Brandebourg, ex-Allemagne de l’Est, le commissaire Marco Stein et ses hommes procèdent à un contrôle routier. Alors que les premières voitures sont arrêtées, ils pensent reconnaître une odeur de cannabis. Dans les alentours, il y a un hangar apparemment inoccupé ayant servi à la vente de matériaux de construction, une baraque à kebab et un chien berger qui aboie derrière une haie. A première vue rien ne parait anormal. Les portes du hangar en tôle ondulée sont renforcées de barreaux métalliques et des feuilles de papier opaque sont collées sur les fenêtres. Quand le commissaire s’approche d’un tuyau d’aération, il n’a aucun doute : il alerte ses supérieurs. Deux heures plus tard, muni d’un ordre de perquisition, M. Stein et des membres de la brigade des stupéfiants pénètrent dans le hangar. 2 500 pieds de cannabis de deux mètres de haut sont minutieusement alignés, éclairés par une intense lumière artificielle et arrosés avec un système automatique sophistiqué.

Le cannabis allemand concurrence le Maroc et l’Afghanistan


Les employés du Döner-grill et le vendeur d’automobiles Marcus K – le propriétaire du chien berger – « ignoraient » tout de cette activité illicite. Les policiers trouveront à son domicile deux Porsches, une Austin et dix moteurs de Yacht. Depuis janvier 2009, le concessionnaire et ses complices avaient gagné 824 000 euros. Cette installation était la plus grande plantation de cannabis jamais découverte en Allemagne. Peu avant, dans des bureaux, la police berlinoise avait mis la main sur une culture de 1 400 pieds. L’Allemagne et plus précisément les Länder de l’ex-RDA sont devenus le lieu de prédilection de la culture du chanvre concurrençant les importations du Maroc et de l’Afghanistan.

Aux Pays-Bas, les bandes mafieuses s’affrontent pour la possession des terrains, des axes de distribution et des débouchés. La violence qui en découle est la cause de plus en plus de morts. Dans un premier temps, les « gros bonnets » avaient préféré passer la frontière pour installer leur industrie en Rhénanie du Nord Westphalie, en Basse-Saxe ou dans le Schleswig-Holstein. Etant donné que dans ces Länder du Nord-Ouest la police a accru sa surveillance, les producteurs se sont déplacés vers l’est, dans les innombrables granges vides et usines désaffectées du Brandebourg, de la Saxe et de la Saxe-Anhalt. Ces anciens Länder de l’Allemagne de l’Est offrent une plus grande discrétion. Pointant sur une carte l’évolution de la culture de la drogue, Marion Gradowski et Bernd Welsch de la police criminelle expliquent qu’« avec l’élargissement à l’est, l’ensemble du marché allemand a connu une révolution. Avant cela, les cultivateurs de drogue s’étaient implantés dans l’ouest de la république et continuaient leurs affaires dans de soi-disant cafés en Hollande. La récolte y était séchée et fermentée. Une fois prête, la marihuana était emballée dans des petits paquets pour être vendue dans des Coffee-shop. Cependant, plus les cultures sont éloignées de la frontière hollandaise, plus grande était la probabilité que la drogue soit destinée au marché local ».

Des jardiniers vietnamiens

Si en Allemagne la part de la demande est difficilement estimable, ce commerce y offre de nombreux avantages. Le coût du transport est très bas et la disparition des frontières au sein de l’Union européenne a nettement réduit les risques de se faire prendre. Amsterdam et les villes frontalières hollandaises comme Heerlen (dans l’enclave de Maastricht bordée par l’Allemagne et la Belgique) réputées pour le trafic de stupéfiants, sont facilement accessibles. Le commerce du hachich est très lucratif. Ainsi, une grande implantation exigeant un investissement compris entre 20 000 et 50 000 euros est amorti en six semaines, c’est-à-dire dès la première récolte. Les retombées financières sont d’autant plus attrayantes qu’une année fournit six récoltes de chanvre, et mille pieds suffisent pour produire 15 kg. De plus, le prix du hachich qui s’échelonne entre 3 000 et 4 000 euros / kg au marché noir, atteint le double quand il est écoulé dans la rue.

Aujourd’hui, les drogués peuvent rouler leurs joints en coupant le haschich avec de l’herbe d’Allemagne. L’essor que connaît ce phénomène démontre un changement stratégique : la lutte contre la drogue ne vise plus seulement la consommation ; les services de sécurité doivent à présent intervenir dans des serres et des hangars. En 2009, la police allemande a découvert 316 emplacements de moyenne culture (moins de milles pieds) et 26 grandes plantations (plus de mille pieds) contre 18 en 2008 pour ce dernier cas. Le Bundeskriminalamt (Office fédéral de la police allemande) se dit particulièrement préoccupé par cette industrie meurtrière qui dissimule des structures internationales embauchant une main d’œuvre immigrée et bon marché. A Zossen, village du Brandebourg, les autorités fédérales ont ouvert les portes d’un ancien hangar abritant la culture du chanvre. A cette occasion, quatre jardiniers vietnamiens travaillant comme des esclaves à l’entretien de 1 400 pieds de cannabis ont été arrêtés. Toujours en ex-RDA, d’autres Vietnamiens s’occupaient d’une plantation dissimulée dans les sous-sols d’une discothèque de Leipzig. Des ressortissants de ce pays étaient également employés dans une serre de Rottendorf et de Neumarkt, villes bavaroises situées dans le district du Haut-Palatinat limitrophe de la Tchéquie, ainsi que dans une plantation de Münchengladbach dans la région de la Ruhr, à proximité des Pays-Bas. L’hebdomadaire Der Spiegel du 7/6/10 mentionne que « dans le monde entier et notamment au Canada, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les Vietnamiens sont considérés comme les meilleurs jardiniers de la culture du cannabis de haute-qualité. Ils étaient dans leur pays de simples paysans avant de devenir les victimes de réseaux internationaux de trafiquants ». Trahi par une classe de dirigeants sans morale, le peuple allemand est devenu le témoin impuissant de bien sombres transactions entre la Hollande et l’ancien bloc de l’Est.

Le cannabis sous serre n’est plus une drogue douce

La demande croissante a conduit au développement d’une infrastructure commerciale performante. A cet effet, les fournisseurs d’accès à Internet ventent les mérites d’un outillage adapté à une culture privée coûtant seulement une trentaine d’euros. Ce sont des filtres à charbon actif contre les odeurs, un système d’irrigation et des « serres d’intérieur ». Certains sites dispensent des cours sur la culture du chanvre. Les enquêteurs mettent en garde contre toute minimisation. M. Gradowski expose que « la tendance à la culture sous serre n’a plus rien à voir avec les joints de l’époque des hippies dans les années 1970. Du fait de son traitement et de son importante production augmentant la qualité, la marihuana qui provient de plantation sous serre ne peut plus être considérée comme une drogue douce. Les producteurs et les consommateurs recherchent à présent une teneur bien plus élevée en Tetrahydrocannabinol (THC) ». Cette molécule contenue dans le cannabis joue un rôle décisif dans les procès. Plus la concentration en THC est importante, plus les peines sont sévères. Ainsi, en mai 2010, à Mönchengladbach, un cultivateur de chanvre a écopé de quatre ans et demi de prison. Dans le Bade-Wurtemberg, des exploitants d’une des plus grandes plantations de cannabis ont pris sept ans d’incarcération. En Nord-Rhin-Westphalie, un jardinier purge une peine de neuf ans. C’est pourquoi, quand une plantation est démantelée, les enquêteurs chargent leur camion, sèchent les plantes et les laissent fermenter. Ensuite, ils transmettent au procureur la teneur en THC. Ces nouvelles techniques s’accompagnent de moyens d’expertise et d’investigation performants. A Zossen, la police avait engagé un hélicoptère avec une caméra à image thermique. Le rayonnement des lampes équipant les serres trahit l’emplacement des plantations. Face à de tels équipements de détections, les trafiquants se sont passés le mot, et ont doté les serres en isolateurs thermiques : la culture industrielle du chanvre nécessite une grande quantité d’énergie. Une serre peut comporter une centaine de lampes à vapeur de sodium de 600 W – généralement mise en fonction dans l’horticulture pour favoriser la pousse des plantes – et dont une journée de consommation est celle d’une famille pour la moitié d’une année. Afin de ne pas éveiller les soupçons, les exploitants possèdent leurs propres générateurs ou profitent pour une courte période d’un branchement illégal. Au centre de l’Allemagne, à Heidenrod, Land de Hesse, les industriels du cannabis tiraient profit d’une ancienne centrale électrique. A Rottendorf, une serre de chanvre qui recensait quarante grands ventilateurs et plus de deux cent quatre-vingt lampes spéciales, avait surchargé le réseau provoquant de fréquentes coupures d’électricité.

M. Friedman, mafia « apatride », drogue

La mafia « apatride » concrétise ainsi sur le terrain sa volonté de commercialiser la drogue. Daniel Cohn-Bendit, maire-adjoint de Frankfurt en 1989, prétextant d’un échec de la guerre menée contre les stupéfiants, prenait partie pour « une dépénalisation des drogues douces ». Cet euphémisme de circonstance, nous l’avons vu, se trouve dépassé par la qualité du cannabis produit sous serre. Dans la même ligne idéologique que l’ancien « soixante-huitard », l’exemple le plus flagrant fut celui de Michel Friedman, vice-Président du Conseil central des Juifs d’Allemagne. En juin 2003, à Frankfurt, une perquisition de son domicile confirma l’implication de l’avocat et ancien membre dirigeant de la CDU avec le milieu criminel ukrainien opérant dans la prostitution, le trafic de la drogue et des armes en Allemagne. Au cours d’un interrogatoire, deux prostituées avaient affirmé que ce défenseur des droits de l’homme leur avait proposées de prendre de la cocaïne.

Juin 2010
Tiré de l’Atlas de géopolitique révisée, tome II.

Laurent Glauzy est aussi l’auteur de :
Illuminati. « De l’industrie du Rock à Walt Disney : les arcanes du satanisme ».
Karl Lueger, le maire rebelle de la Vienne impériale
Atlas de géopolitique révisée, tome I
Chine, l’empire de la barbarie
Extra-terrestres, les messagers du New-Age
Le mystère de la race des géants