Dimanche de la Septuagésime – textes et commentaire

Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à ce dimanche (rite catholique traditionnel), suivis de commentaires.
Avec le Temps de la Septuagésime commence le second cycle de l’année religieuse. Le cycle de Noël s’était organisé autour de la naissance du Sauveur ; le cycle de Pâques s’organise autour de sa passion et de sa résurrection.

« « Justement châtié pour ses péchés » (Coll.), l’homme sent profondément sa détresse et implore la miséricorde divine. La liturgie du Temps de la Septuagésime, qui prélude au Carême, souligne la détresse humaine, mais elle l’exprime devant Dieu avec toute la force et l’espérance fondée sur la rédemption du Christ ; l’introït et tous les chants de la messe d’aujourd’hui, l’Épître et l’Évangile, nous pressent de répondre à l’invitation de Dieu lui-même, qui appelle tous les hommes et toutes les générations humaines, quelle que soit l’heure de cet appel, à travailler à leur salut ».

Dom G. Lefebvre

COMMENTAIRE DE DOM GUÉRANGER
(dans l’Année liturgiquedisponible ici avec ses autres livres)

« La sainte Église nous rassemble aujourd’hui pour repasser avec nous le lamentable récit de la chute de notre premier père. Un si affreux désastre nous fait déjà pressentir le dénouement de la vie mortelle du Fils de Dieu fait homme, qui a daigné prendre sur lui la charge d’expier la prévarication du commencement et toutes celles qui l’ont suivie. Pour être en mesure d’apprécier le remède, il nous faut sonder la plaie. Cette semaine sera donc employée à méditer la gravité du premier péché, et toute la suite des malheurs qu’il a entraînés sur l’espèce humaine.

    Autrefois l’Église lisait en ce jour, à l’Office de Matines, la narration simple et sublime par laquelle Moïse a initié toutes les générations à ce triste événement. La disposition actuelle de la Liturgie n’amène pas cette lecture avant le Mercredi de cette semaine, les jours qui précèdent étant employés à lire le récit des six jours de la création. Nous placerons néanmoins dès aujourd’hui cette importante lecture, comme le fondement des enseignements de la semaine.

Du Livre de la Genèse. Chap. III :
[récit du péché originel, trad. Crampon]

La voilà cette page terrible des annales humaines. Elle seule nous explique la situation présente de l’homme sur la terre. Par elle aussi, nous apprenons l’attitude qui nous convient à l’égard de Dieu. Nous reviendrons sur ce lugubre récit dans les jours qui vont suivre ; dès à présent, il doit faire le principal objet de nos réflexions. Reprenons maintenant l’explication de la Liturgie d’aujourd’hui.

A LA MESSE.
La Station, à Rome, est dans l’Église de Saint-Laurent-hors-les-Murs. Les anciens liturgistes font remarquer la relation qui existe entre le juste Abel, dont le sang répandu par son frère fait l’objet d’un des Répons des Matines d’aujourd’hui, et le courageux martyr sur le tombeau duquel l’Église Romaine vient ouvrir la Septuagésime.

Introït (Ps. 17, 5, 6 et 7) :
Les gémissements de la mort m’ont environné, les douleurs de l’enfer m’ont entouré ; dans mon affliction j’ai invoqué le Seigneur, et de son saint temple, il a entendu ma voix.
Ps. (Ibid, 2-3) :
Je vous aimerai, Seigneur, vous qui êtes ma force ; le Seigneur est mon ferme appui, et mon libérateur.

L’Introït de la Messe exprime les terreurs de la mort auxquelles Adam et sa race tout entière sont en proie, depuis le péché. Cependant un cri d’espérance se fait entendre, au milieu de cette suprême désolation. Adam et sa race peuvent encore implorer la miséricorde céleste. Le Seigneur a fait une promesse, au jour même de la malédiction; qu’ils confessent leur misère, et le Dieu même qu’ils ont offensé deviendra leur libérateur.

[On ne dit pas le Gloria depuis ce dimanche jusqu’au Jeudi Saint, excepté quand on dit la messe d’une fête. L’allelulia qui suit le graduel est remplacé par un trait.]

Dans la Collecte, l’Église reconnaît que ses enfants ont mérité les châtiments qui sont la suite du péché, et demande pour eux cette miséricorde qui délivre.

Collecte :
Nous vous en supplions, Seigneur, écoutez avec clémence les prières de votre peuple, afin que nous qui sommes justement affligés pour nos péchés, nous soyons miséricordieusement délivrés pour la gloire de votre nom.

ÉPÎTRE.
Lecture de l’Epître de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens
(1 Cor. 9, 24-27 ; 10, 1-5) :
Mes Frères : Ne le savez-vous pas ? Dans les courses du stade, tous courent, mais un seul emporte le prix. Courez de même, afin de le remporter. Quiconque veut lutter, s’abstient de tout : eux pour une couronne périssable ; nous, pour une impérissable. Pour moi, je cours de même, non comme à l’aventure ; je frappe, non pas comme battant l’air. Mais je traite durement mon corps et je le tiens en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé. Car je ne veux pas vous laisser ignorer, frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous traversé la mer, et qu’ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer ; qu’ils ont tous mangé le même aliment spirituel, et qu’ils ont tous bu le même breuvage spirituel, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher était le Christ. Cependant ce n’est pas dans la plupart d’entre eux que Dieu trouva son plaisir.

La parole énergique de l’Apôtre vient augmenter encore l’émotion que nous apportent les grands souvenirs qui se rattachent à ce jour. Il nous dit que ce monde est une arène dans laquelle il faut courir, et que le prix n’est que pour ceux dont la marche est agile et dégagée. Gardons-nous donc de ce qui pourrait appesantir notre course et nous faire manquer la couronne. Ne nous faisons pas illusion : rien n’est sûr pour nous, tant que nous ne sommes pas au bout de la carrière. Notre conversion n’a pas été plus sincère que celle de saint Paul, nos œuvres plus dévouées et plus méritoires que les siennes; toutefois, il le confesse lui-même, la crainte de devenir réprouvé n’est pas entièrement éteinte dans son cœur. Il châtie son corps, et il le réduit en servitude. L’homme dans l’état actuel n’a plus cette volonté droite qu’avait Adam avant son péché, et dont cependant il sut faire un si malheureux usage. Un penchant fatal nous entraîne, et nous ne pouvons garder l’équilibre qu’en sacrifiant la chair à l’esprit. Cette doctrine paraît dure au grand nombre, et c’est pour cela que beaucoup n’arriveront pas au terme de la carrière, et n’auront pas part à la récompense qui leur était destinée. Comme les Israélites dont parle ici l’Apôtre, ils mériteront d’être ensevelis dans le désert, et ne verront pas la terre promise. Néanmoins, les mêmes merveilles dont turent témoins Josué et Caleb s’étaient accomplies sous leurs yeux ; mais rien ne guérit l’endurcissement d’un cœur qui s’obstine à mettre tout son espoir dans les choses de la vie présente, comme si leur périlleuse vanité ne se révélait pas d’elle-même à chaque heure.

Mais si le cœur se confie en Dieu, s’il se fortifie par la pensée que le secours divin ne manque jamais à celui qui l’implore, il parcourra sans faiblir l’arène de cette vie, et il arrivera heureusement au terme. Le Seigneur a les yeux constamment ouverts sur celui qui travaille et qui souffre. Tels sont les sentiments exprimés dans le Graduel.

Graduel (Ps. 9, 10-11 e:t 19-20) :
Vous êtes notre secours au temps du besoin et de l’affliction. Qu’ils espèrent en vous ceux qui connaissent votre nom, car vous n’abandonnez pas ceux qui vous cherchent, Seigneur.
V./  Car le pauvre ne sera pas en oubli pour toujours ; la patience des pauvres ne périra pas à jamais. Levez-vous, Seigneur, que l’homme ne triomphe pas.

Le Trait envoie vers Dieu un cri, du fond de l’abîme de notre déchéance. L’homme est profondément humilié par sa chute ; mais il sait que Dieu est plein de miséricorde, et que sa bonté l’empêche de traiter nos iniquités comme elles le méritent ; autrement, nul de nous ne pourrait espérer le pardon.

Trait (Ps. 129, 1-4) :
Du fond des abîmes, j’ai crié vers vous, Seigneur ; Seigneur, exaucez ma voix.
V/. Que vos oreilles soient attentives à la voix de ma supplication.
V/. Si vous examinez nos iniquités, Seigneur, qui subsistera devant vous ?
V/. Mais auprès de vous est la miséricorde et à cause de votre loi j’ai espéré en vous Seigneur.

ÉVANGILE.
Lecture du Saint Evangile selon saint Mathieu (20, 1-16) :
En ce temps là, Jésus dit à ces disciples cette parabole : le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit de grand matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Etant convenu avec les ouvriers d’un denier par jour, il les envoya à sa vigne. Il sortit vers la troisième heure, en vit d’autres qui se tenaient sur la place sans rien faire, et leur dit : « Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste. » Et ils y allèrent. Il sortit encore vers la sixième et la neuvième heure, et fit la même chose. Etant sorti vers la onzième (heure), il en trouva d’autres qui stationnaient, et il leur dit : « Pourquoi stationnez-vous ici toute la journée sans rien faire ? » Ils lui disent : « C’est que personne ne nous a embauchés. » Il leur dit : « Allez, vous aussi, à la vigne. » Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : « Appelle les ouvriers et paie-leur le salaire, en commençant par les derniers jusqu’aux premiers. » Ceux de la onzième heure vinrent et reçurent chacun un denier. Quand vinrent les premiers, ils pensèrent qu’ils recevraient davantage ; mais ils reçurent, eux aussi, chacun un denier. En le recevant, ils murmuraient contre le maître de maison, disant : « Ces derniers n’ont travaillé qu’une heure, et tu les as traités comme nous, qui avons porté le poids du jour et la chaleur. » Mais lui, s’adressant à l’un d’eux, répondit : « Ami, je ne te fais point d’injustice : n’es-tu pas convenu avec moi d’un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. Ne m’est-il pas permis de faire en mes affaires ce que je veux ? Ou ton œil sera-t-il mauvais parce que, moi, je suis bon ? Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers derniers. »

Il importe de bien saisir ce célèbre passage de l’Évangile, et d’apprécier les motifs qui ont porté l’Église à le placer en ce jour. Considérons d’abord les circonstances dans lesquelles le Sauveur prononce cette parabole, et le but d’instruction qu’il s’y propose directement. Il s’agit d’avertir les Juifs que le jour approche où leur loi tombera pour faire place à la loi chrétienne, et de les disposer à accueillir favorablement l’idée que les Gentils vont être appelés à former alliance avec Dieu. La vigne dont il est ici question est l’Église sous ses différentes ébauches, depuis le commencement du monde, jusqu’à ce que Dieu vînt lui-même habiter parmi les hommes et constituer sous une forme visible et permanente la société de ceux qui croient en lui. Le matin du monde dura depuis Adam jusqu’à Noé ; la troisième heure s’étendit de Noé jusqu’à Abraham ; la sixième heure commença à Abraham pour aller jusqu’à Moïse ; la neuvième heure fut l’âge des Prophètes, jusqu’à l’avènement du Seigneur. Le Messie est venu à la onzième heure, lorsque le monde semblait pencher à son déclin. Les plus grandes miséricordes ont été réservées pour cette période durant laquelle le salut devait s’étendre aux Gentils par la prédication des Apôtres. C’est ce dernier mystère par lequel Jésus-Christ veut confondre l’orgueil judaïque. Il signale les répugnances que les Pharisiens et les Docteurs de la Loi éprouvaient en voyant l’adoption s’étendre aux nations, par les remontrances égoïstes que les ouvriers des premières heures osent faire au Père de famille. Cette obstination sera punie comme elle le mérite. Israël, qui travaillait avant nous, sera rejeté à cause de la dureté de son cœur; et nous, Gentils, qui étions les derniers, nous deviendrons les premiers, étant faits membres de cette Église catholique, qui est l’Épouse du Fils de Dieu.

Telle est l’interprétation donnée à cette parabole par les saints Pères, notamment par saint Augustin et saint Grégoire le Grand; mais cet enseignement du Sauveur présente encore un autre sens également justifié par l’autorité de ces deux saints Docteurs. Il s’agit ici de l’appel que Dieu adresse à chaque homme pour l’inviter à mériter le Royaume éternel par les pieux labeurs de cette vie. Le matin, c’est notre enfance ; la troisième heure, selon la manière de compter des anciens, est celle où le soleil commence à monter dans le ciel: c’est l’âge de la jeunesse ; la sixième heure, par laquelle on désignait ce que nous appelons Midi, est l’âge d’homme; la onzième heure précède de peu d’instants le coucher du soleil : c’est la vieillesse. Le Père de famille appelle ses ouvriers à ces différentes heures ; c’est à eux de^ se rendre, dès qu’ils ont entendu sa voix ; mais il n’est pas permis à ceux qui sont conviés dès le matin de retarder leur départ pour la vigne, sous le prétexte qu’ils se rendront plus tard, lorsque la voix du Maître se fera entendre de nouveau. Qui les a assurés que leur vie se prolongera jusqu’à la onzième heure ? Lorsque la troisième sonne, peut-on compter même sur la sixième ? Le Seigneur ne convoquera au travail des dernières heures que ceux qui seront en ce monde lorsqu’elles viendront à sonner; et il ne s’est point engagé à adresser une nouvelle invitation à ceux qui auront dédaigné la première.

A l’Offertoire, l’Église nous convie à célébrer les louanges de Dieu. Le Seigneur a voulu que, dans cette vallée de larmes, les chants à sa gloire fussent notre consolation.

Offertoire (Ps. 91, 2) :
Il est bon de louer le Seigneur et de chanter votre nom, ô Très-Haut.

Secrète :
Ayant agréé nos offrandes et nos prières, purifiez-nous grâce à ces mystères tout célestes, nous vous en supplions, Seigneur, et exaucez-nous avec clémence.

Préface de la Sainte Trinité

Dans l’Antienne de la Communion, l’Église demande que l’homme, régénéré par l’aliment céleste, retrouve la ressemblance de Dieu, selon laquelle il avait été créé dans le principe. Plus notre misère est grande, plus nous devons espérer en celui qui est descendu jusqu’à nous pour nous faire remonter jusqu’à lui.

Communion (Ps. 30, 17-18) :
Faites luire votre visage sur votre serviteur, et sauvez-moi par votre miséricorde ; Seigneur, que je ne sois pas confondu, car je vous ai invoqué.

Postcommunion :
Que vos fidèles, ô Dieu, soient affermis par vos dons, afin qu’en les recevant ils les recherchent encore et qu’en les recherchant ils les reçoivent sans fin. »