Deuxième dimanche de Carême – textes et commentaire

Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à ce dimanche (rite catholique traditionnel), avec commentaire.

La Transfiguration du Christ, sur le mont Thabor.

« Le contraste est grand entre la gloire du Christ au Thabor et l’anéantissement de son agonie et sa passion ; mais c’est le mystère même de la rédemption qui veut que le Christ porte le châtiment de nos péchés, connaisse la souffrance et la mort pour nous entraîner dans sa résurrection. Nous-même, avant de suivre le Christ dans sa gloire, nous avons à subir l’épreuve de cette vie ; dans des conditions de faiblesse qui demandent le constant secours de la grâce (Coll.), nous devons garder nos corps et nos âmes dans la pratique d’une vie sainte, susceptible de plaire à Dieu (Ep;  post-comm.). »

Dom Guéranger

 

INTRODUCTION PUIS COMMENTAIRE DE DOM GUÉRANGER
(dans l’Année liturgiquedisponible ici avec ses autres livres) :

«  La sainte Église propose aujourd’hui à nos méditations un sujet d’une haute portée pour le temps où nous sommes. La leçon que le Sauveur donna un jour à trois de ses Apôtres, elle nous l’applique à nous-mêmes, en ce second Dimanche de la sainte Quarantaine. Efforçons-nous d’y être plus attentifs que ne le furent les trois disciples de notre Évangile, lorsque leur Maître daigna les préférer aux autres pour les honorer d’une telle faveur.

Jésus s’apprêtait à passer de Galilée en Judée pour se rendre à Jérusalem, où il devait se trouver pour la fête de Pâques. C’était cette dernière Pâque qui devait commencer par l’immolation de l’agneau figuratif, et se terminer par le Sacrifice de l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. Jésus ne devait plus être inconnu à ses disciples. Ses œuvres avaient rendu témoignage de lui, aux yeux même des étrangers ; sa parole si fortement empreinte d’autorité, sa bonté si attrayante, sa patience à souffrir la grossièreté de ces hommes qu’il avait choisis pour sa compagnie : tout avait dû contribuera les attacher à lui jusqu’à la mort. Ils avaient entendu Pierre, l’un d’entre eux, déclarer par un mouvement divin qu’il était le Christ, Fils du Dieu vivant[1]Matth. XVI, 16.; mais cependant l’épreuve qui se préparait allait être si redoutable pour leur faiblesse, que Jésus voulut, avant de les y soumettre, leur accorder encore un dernier secours, afin de les prémunir contre la tentation.

Ce n’était pas seulement, hélas ! pour la synagogue que la Croix pouvait devenir un sujet de scandale[2]I Cor. I, 23. ; Jésus, à la dernière Cène, disait devant ses Apôtres réunis autour de lui : « Vous serez tous scandalisés, en cette nuit, à mon sujet[3]Matth. XXVI, 31.. Pour des hommes charnels comme eux, quelle épreuve de le voir traîné chargé de chaînes par la main des soldats, conduit d’un tribunal à l’autre, sans qu’il songe même à se défendre ; de voir réussir cette conspiration des Pontifes et des Pharisiens si souvent confondus par la sagesse de Jésus et par l’éclat de ses prodiges ; de voir le peuple qui tout à l’heure lui criait hosannah demander sa mort avec passion ; de le voir enfin expirer sur une croix infâme, entre deux larrons, et servir de trophée à toutes les haines de ses ennemis !

Ne perdront-ils pas courage, à l’aspect de tant d’humiliations et de souffrances, ces nommes qui depuis trois années se sont attachés à ses pas ? Se souviendront-ils de tout ce qu’ils ont vu et entendu ? La frayeur, la lâcheté ne glaceront-elles pas leurs âmes, au jour où vont s’accomplir les prophéties qu’il leur a faites sur lui-même ? Jésus du moins veut tenter un dernier effort sur trois d’entre eux qui lui sont particulièrement chers : Pierre, qu’il a établi fondement de son Église future, et à qui il a promis les clefs du ciel ; Jacques, le fils du tonnerre, qui sera le premier martyr dans le collège apostolique, et Jean son frère, qui est appelé le disciple bien-aimé. Jésus veut les mener à l’écart, et leur montrer, durant quelques instants, l’éclat de cette gloire qu’il dérobe aux yeux des mortels jusqu’au jour de la manifestation.

Il laisse donc les autres disciples dans la plaine, près de Nazareth, et se dirige, avec les trois préférés, vers une haute montagne appelée le Thabor, qui tient encore à la chaîne du Liban, et dont le Psalmiste nous a dit qu’elle devait tressaillir au nom du Seigneur[4]Psalm. LXXXVIII, 13. . A peine Jésus est-il arrivé sur le sommet de cette montagne que tout à coup, aux yeux étonnés des trois Apôtres, son aspect mortel disparaît ; sa face est devenue resplendissante comme le soleil ; ses vêtements si humbles ont pris l’éclat d’une neige éblouissante. Deux personnages dont la présence était inattendue sont là sous les yeux des Apôtres, et s’entrÉtiennent avec leur Maître sur les souffrances qui l’attendent à Jérusalem. C’est Moïse, le législateur, couronné de rayons ; c’est Élie, le prophète, enlevé sur un char de feu, sans avoir passé par la mort. Ces deux grandes puissances de la religion mosaïque, la Loi et la Prophétie, s’inclinent humblement devant Jésus de Nazareth. Et non seulement les yeux des trois Apôtres sont frappés de la splendeur qui entoure leur Maître et qui sort de lui ; mais leur cœur est saisi d’un sentiment de bonheur qui les arrache à la terre. Pierre ne veut plus descendre de la montagne ; avec Jésus, avec Moïse et Élie, il désire y fixer son séjour. Et afin que rien ne manque à cette scène sublime, où les grandeurs de l’humanité de Jésus sont manifestées aux Apôtres, le témoignage divin du Père céleste s’échappe du sein d’une nuée lumineuse qui vient couvrir le sommet du Thabor, et ils entendent Jehovah proclamer que Jésus est son Fils éternel.

Ce moment de gloire pour le Fils de l’homme dura peu ; sa mission de souffrances et d’humiliations l’appelait à Jérusalem. Il retira donc en lui-même cet éclat surnaturel ; et lorsqu’il rappela à eux les Apôtres, que la voix tonnante du Père avait comme anéantis, ils ne virent plus que leur Maître. La nuée lumineuse du sein de laquelle la parole d’un Dieu avait retenti s’était évanouie ; Moïse et Élie avaient disparu. Se souviendront-ils du moins de ce qu’ils ont vu et entendu, ces hommes honorés d’une si haute faveur ? La divinité de Jésus demeurera-t-elle désormais empreinte dans leur souvenir ? Quand l’heure de l’épreuve sera venue, ne désespéreront-ils pas de sa mission divine ? ne seront-ils pas scandalisés de son abaissement volontaire ? La suite des Évangiles nous répond.

Peu de temps après, ayant célébré avec eux sa dernière Cène, Jésus conduit ses disciples sur une autre montagne, sur celle des Oliviers, à l’orient de Jérusalem. Il laisse à l’entrée d’un jardin le plus grand nombre d’entre eux ; et ayant pris avec lui Pierre, Jacques et Jean, il pénètre avec eux plus avant dans ce lieu solitaire. « Mon âme est triste jusqu’à la mort, leur dit-il ; demeurez ici, veillez un peu avec moi[5]MATTH. XXVI, 38. . » Et il s’éloigne à quelque distance pour prier son Père. Nous savons quelle douleur oppressait en ce moment le cœur du Rédempteur. Quand il revient vers ses trois disciples, une agonie affreuse avait passé sur lui ; une sueur de sang avait traversé jusqu’à ses vêtements. Au milieu d’une crise si terrible, les trois Apôtres veillent-ils du moins avec ardeur, dans l’attente du moment où ils vont avoir à se dévouer pour lui ? Non ; ils se sont endormis lâchement ; car leurs veux sont appesantis[6]MATTH. XXVI, 43. . Encore un moment, et tous s’enfuiront, et Pierre, le plus ferme de tous, jurera qu’il ne le connaît pas.

Plus tard, les trois Apôtres, témoins de la résurrection de leur Maître, désavouèrent par un repentir sincère cette conduite honteuse et coupable ; et ils reconnurent la prévoyante bonté avec laquelle le Sauveur les avait voulu prémunir contre la tentation, en se faisant voir à eux dans sa gloire, si peu de temps avant les jours de sa Passion. Nous, chrétiens, n’attendons pas de l’avoir abandonné et trahi, pour reconnaître sa grandeur et sa divinité. Nous touchons à l’anniversaire de son Sacrifice ; nous aussi, nous allons le voir humilié par ses ennemis et écrasé sous la main de Dieu. Que notre foi ne défaille pas à ce spectacle ; l’oracle de David qui nous le représente semblable à un ver de terre[7] Psalm. XXI, 7. que Ton foule aux pieds, la prophétie d’Isaïe qui nous le dépeint comme un lépreux, comme le dernier des hommes, l’homme de douleurs[8]ISAI. LIII, 4. : tout va s’accomplir à la lettre. Souvenons-nous alors des splendeurs du Thabor, des hommages de Moïse et d’Élie, de la nuée lumineuse, delà voix du Père immortel des siècles. Plus Jésus va s’abaissera nos yeux, plus il nous faut le relever par nos acclamations, disant avec la milice des Anges, et avec les vingt-quatre vieillards que saint Jean, l’un des témoins du Thabor, a entendus dans le ciel : « Il est digne, l’Agneau qui a été immolé , de recevoir la puissance et la divinité, la sagesse et la force, l’honneur , la gloire et la bénédiction[9]Apoc. V, 12. ! »

Le deuxième Dimanche de Carême est appelé Reminiscere, du premier mot de l’Introït de la Messe, et quelquefois aussi le Dimanche de la Transfiguration, à cause de l’Évangile que nous venons d’exposer.[…]

A LA MESSE.
L’Église, dans l’Introït, nous excite à la confiance en la miséricorde de Dieu, qui nous délivrera de nos ennemis, si nous l’invoquons du fond de notre cœur. Nous avons deux bienfaits à obtenir de lui, dans le Carême : le pardon de nos fautes, et sa protection pour n’y pas retomber.

INTROÏT.
Souvenez-vous, Seigneur, de vos miséricordes, qui sont éternelles ; ne laissez jamais dominer sur nous nos ennemis : Dieu d’Israël, délivrez-nous de tous les maux, qui nous pressent.
Ps. Vers vous, ô mon Dieu ! j’ai élevé mon âme ; en vous j’ai mis ma confiance, je n’aurai point à en rougir. Gloire au Père. Souvenez-vous.

Dans la Collecte, nous implorons pour nos besoins intérieurs et extérieurs : Dieu nous accordera les uns et les autres, si notre prière est humble et sincère ; il veillera sur nos nécessités corporelles, et défendra nos âmes contre les suggestions de l’ennemi, qui cherche à souiller jusqu’à nos pensées.

COLLECTE.
O Dieu ! qui voyez que nous n’avons de nous-mêmes aucune force, gardez-nous au dedans et au dehors, afin que notre corps soit préservé de toute adversité, et notre âme purifiée de toute pensée mauvaise. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

[La seconde et la troisième Collecte, comme au premier Dimanche de Carême]

ÉPÎTRE
Lecture de l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Thessaloniciens. (I, Chap. IV.) :
Mes Frères, nous vous supplions et nous vous conjurons dans le Seigneur Jésus, qu’ayant appris de nous comment vous devez marcher et plaire à Dieu, ainsi vous marchiez de telle sorte, que vous avanciez de plus en plus. Vous savez quels préceptes je vous ai donnés de la part du Seigneur Jésus. La volonté de Dieu est que vous soyez saints, que vous vous absteniez de la fornication, que chacun de vous sache posséder le vase de son corps dans la sainteté et l’honnêteté, et non dans la fougue des désirs, comme les Gentils, qui ignorent Dieu. Que personne aussi n’opprime son frère, ni ne lui fasse tort dans aucune affaire ; car le Seigneur est le vengeur de tous ces péchés, ainsi que nous vous l’avons déclare et attesté. En effet, Dieu ne nous a pas appelés à être impurs, mais à être saints en Jésus-Christ notre Seigneur.

L’Apôtre insiste, en ce passage, sur la sainteté des mœurs qui doit reluire dans le chrétien ; et l’Église, qui nous propose ces paroles, avertit les fidèles de songer à profiter du temps où nous sommes pour rétablir en eux la pureté de l’image de Dieu, selon laquelle la grâce baptismale les avait produits. Le chrétien est un vase d’honneur, préparé et embelli par la main de Dieu ; qu’il se préserve donc de l’ignominie qui le dégraderait, et le rendrait digne d’être brisé et jeté sur le fumier avec les immondices. C’est la gloire du Christianisme d’avoir relevé l’homme jusqu’à faire participer le corps à la sainteté de l’âme ; mais sa doctrine céleste nous avertit en même temps que cette sainteté de l’âme s’altère et se perd par la souillure du corps. Relevons donc en nous l’homme tout entier, à l’aide des pratiques de cette sainte Quarantaine. Purifions notre âme par la confession de nos fautes, par la componction du cœur, par l’amour du Seigneur miséricordieux, et réhabilitons notre corps, en lui faisant porter le joug de l’expiation, afin que désormais il demeure le serviteur de l’âme et son docile instrument, jusqu’au jour où celle-ci, entrée en possession d’un bonheur sans fin et sans limites, versera sur lui la surabondance des délices dont elle sera inondée.

Dans le Graduel, l’homme, à la vue des périls qui le menacent, crie vers le Seigneur qui seul peut l’en affranchir, et lui donner la victoire sur l’ennemi intérieur dont il subit trop souvent les insultes.

Le Trait est un cantique inspiré par la confiance dans la divine miséricorde, et en même temps une demande que l’Église adresse à son Époux en faveur du peuple fidèle qu’il daignera visiter et sauver dans la grande Fête, si éloignée encore, mais vers laquelle cependant nous avançons chaque jour.

GRADUEL
Les tribulations de mon cœur se sont accrues ; Seigneur, délivrez-moi de mes nécessités.
V/. Voyez mon humiliation et mon labeur, et pardonnez-moi tous mes péchés.

TRAIT.
Célébrez le Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est à jamais.
V/. Qui racontera les effets de la puissance du Seigneur ? Qui publiera toutes ses louanges ?
V/. Heureux ceux qui gardent l’équité et pratiquent la justice en tout temps !
V/. Souvenez-vous de nous, Seigneur, dans votre amour pour votre peuple : visitez-nous pour nous sauver.

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. XVII. :
En ce temps-là, Jésus prit Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les conduisit à part sur une haute montagne, et il fut transfiguré devant eux. Et sa face resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la neige. Et voici que Moïse et Élie leur apparurent, conversant avec lui. Pierre, s’adressait à Jésus, lui dit : Seigneur, il nous est bon d’être ici : si vous le voulez, faisons-y trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie Comme il parlait encore, une nuée lumineuse vint les couvrir. Et voilà que de la nuée sortit une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu : écoutez-le. Et les disciples entendant cette voix, tombèrent sur leur face, et furent saisis d’une grande frayeur. Et Jésus, s’approchant d’eux, les toucha et leur dit : Levez-vous, et ne craignez point. Alors, levant les yeux, ils ne virent plus que Jésus seul. Et comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur fit ce commandement : Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.

C’est ainsi que le Sauveur venait en aide à ses Apôtres à la veille de l’épreuve, et cherchait à imprimer profondément son image glorieuse dans leur pensée, pour le jour où l’œil de la chair n’apercevrait plus en lui que faiblesse et ignominie. O prévoyance de la grâce divine qui ne manque jamais à l’homme, et qui justifie toujours la bonté et la justice de Dieu ! Comme les Apôtres, nous avons péché ; comme eux, nous avons négligé le secours qui nous avait été envoyé du ciel, nous avons fermé volontairement les yeux à la lumière, nous avons oublié son éclat qui d’abord nous avait ravis, et nous sommes tombés. Nous n’avons donc point été tentés au delà de nos forces[10]I Cor. X. 13., et nos péchés nous appartiennent bien en propre. Les trois Apôtres furent exposés à une violente tentation, au jour où leur Maître sembla avoir perdu toute sa grandeur ; mais il leur était facile de se fortifier par un souvenir glorieux et récent. Loin de là, ils se laissèrent abattre, ils ne songèrent point à renouveler leur courage dans la prière ; et les fortunés témoins du Thabor se montrèrent lâches et infidèles au Jardin des Oliviers. Il ne leur resta plus d’autre ressource que de se recommander à la clémence de leur Maître, quand il eut triomphé de ses méprisables ennemis ; et ils obtinrent leur pardon de son cœur généreux.

Nous aussi, venons à notre tour implorer cette miséricorde sans bornes. Nous avons abusé de la grâce divine ; nous l’avons rendue stérile par notre infidélité. La source de cette grâce, fruit du sang et de la mort du Rédempteur, n’est point encore tarie pour nous, tant que nous vivons en ce monde ; préparons-nous à y puiser de nouveau. C’est elle déjà qui nous sollicite à l’amendement de notre vie. Cette grâce, elle descend sur les âmes avec abondance au temps où nous sommes ; elle est renfermée principalement dans les saints exercices du Carême. Élevons-nous sur la montagne avec Jésus ; à cette hauteur, on n’entend déjà plus les bruits de la terre. Établissons-y notre tente pour quarante jours en la compagnie de Moïse et d’Élie qui, comme nous et avant nous, sanctifièrent ce nombre par leurs jeûnes ; et, quand le Fils de l’homme sera ressuscité d’entre les morts, nous publierons les faveurs qu’il daigna nous accorder sur le Thabor.

L’Église, dans l’Offertoire, nous avertit de méditer les commandements divins. Puissions-nous les aimer comme les aima le Roi-Prophète, dont nous répétons ici les paroles !

OFFERTOIRE.
Je méditerai vos préceptes, pour lesquels j’ai conçu un amour ardent, et j’étendrai mes mains vers vos commandements que je chéris.

Puisons dans l’assistance au saint Sacrifice cette dévotion dont il est la source, comme l’Église le demande pour nous dans la Secrète. Cette hostie qui va s’offrir bientôt est le gage et la rançon de notre salut ; par elle nos cœurs fidèlement préparés obtiendront ce qui leur manquerait encore pour être réconcilies au Seigneur.

SECRETE.
Daignez regarder favorablement, Seigneur, le présent Sacrifice, afin qu’il serve à l’accroissement de notre dévotion et à notre salut. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

[La seconde et la troisième Secrète, comme au premier Dimanche de Carême]

A la vue de celui qui est son Sauveur et son juge, rendu présent dans cet ineffable mystère, l’âme pénitente crie vers lui avec ardeur et avec confiance. Telle est l’intention des paroles du Psalmiste qui forment l’Antienne de la Communion.

COMMUNION.
Entendez mes cris, écoutez la voix de ma prière, ô mon Roi et mon Dieu ! car c’est à vous que j’adresse mes vœux, Seigneur.

L’Église recommande spécialement à Dieu, dans la Postcommunion, ceux de ses enfants qui ont participé à la victime qu’elle vient d’offrir. Jésus les a nourris de sa propre chair ; il est juste qu’ils lui fassent honneur par le renouvellement de leur vie.

POSTCOMMUNION.
Dieu tout-puissant, nous vous supplions humblement de faire que ceux que vous nourrissez de vos Sacrements vous servent dignement par une conduite qui vous soit agréable. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

[La seconde et la troisième Postcommunion, comme au premier Dimanche de Carême] »

COMMENTAIRE DE DOM PIUS PARSCH
dans son Guide dans l’Année Liturgique

«  La volonté de Dieu c’est que vous soyez saints.

Ce dimanche est la récapitulation de la cérémonie des Quatre-Temps. Notre Mère l’Église veut donner, à tous ceux qui n’ont pu célébrer l’antique et vénérable solennité des Quatre-Temps, l’occasion de le faire. En outre, ce dimanche doit nous apporter un nouvel encouragement dans le combat du Carême. Le Seigneur nous invite à le suivre dans la voie de la Passion, en nous montrant son but et le nôtre : la transfiguration pascale.
1. La Transfiguration. — Nous avons déjà vu que l’Évangile de la Transfiguration n’est pas seulement une image de la messe, mais encore une leçon pour nous. Il nous enseigne le but du travail de Carême. Le Christ mystique jeûne pendant quarante jours dans ses membres et puise, dans ce jeûne, la force de combattre victorieusement le diable. Il s’avance aussi, précisément par ce jeûne, vers la transfiguration. Les membres suivent, en tout, le Chef. Mais les Évangiles ne veulent pas seulement nous donner une instruction, ce sont des actions dramatiques, des “ mystères “, qui symbolisent ce qui se réalise par la grâce au Saint-Sacrifice. Que se passe-t-il ? A la messe, le Christ se rend présent. Celui qui se rend présent, c’est le Christ glorifié qui “ est assis à la droite du Père “. Il est vrai que nous ne le voyons qu’avec les yeux de la foi. A la messe, paraissent également Moïse et Élie ; la Loi et les Prophètes attestent que le sacrifice de la messe est l’accomplissement de ce qu’ils ont préfiguré et prédit. A la messe, nous n’entendons pas seulement Moïse et Élie parler de la mort du Seigneur, nous savons que celui-ci est présent. Quant à nous, nous nous tenons sur la montagne mystique, comme saint Pierre, et nous disons : Seigneur, il est bon d’être ici. Ce n’est pas assez de dire que nous sommes témoins de la Transfiguration, nous y prenons part par la communion. L’Eucharistie est, pour nous, le grand moyen d’arriver à la transfiguration de notre âme. Par l’Eucharistie, nous bâtissons cette tente, ou plutôt ce temple de l’éternité où nous serons réunis avec le Christ, Moïse et Élie, pour être heureux à jamais.
2. La messe (Reminiscere). — La messe est de date récente ; c’est pourquoi l’église de station, Sainte-Marie in Domnica, est, elle aussi, assez récente. C’est l’église d’une ancienne “ diaconie ”. Ces diaconies étaient des maisons de pauvres, auprès desquelles s’élevait toujours une église. Nous nous rendons donc, aujourd’hui, auprès de la Mère de Dieu, dans laquelle se reflète, avec le plus de splendeur, l’éclat de la Transfiguration du Christ. Cette messe présente, dans sa composition actuelle, trois ordres de pensées : un De profundis ému (depuis l’Introït jusqu’à l’oraison), une voix d’en haut qui appelle vers les hauteurs (Épître et Évangile) et une suite joyeuse (Offertoire et Communion).
a) Un De profundis. Dans les trois premières pièces de la messe, l’introït, l’oraison et le graduel, se manifeste fortement la conscience du péché. L’ennemi du genre humain règne dans notre nature inférieure. La détresse spirituelle qui vient du péché est grande, grand aussi le besoin de Rédemption. Avec ce sentiment profond de pénitence s’harmonisent parfaitement les prières graduelles, avec le confiteor que nous devons méditer, précisément dans ce temps de Carême. Le confiteor est récité aussi par les pénitents. La supplication ardente du Kyrie rentre également dans cet ordre de pensée. L’oraison contient les mêmes prières et les mêmes émotions profondes. Nous sommes dépourvus de force. La conscience de notre faiblesse est la condition préalable de toute amélioration. Nous devons faire front de deux côtés ou, plutôt, il faut que Dieu nous protège de deux côtés : à l’intérieur et à l’extérieur. Nous avons un ennemi à l’intérieur de la forteresse du cœur (le moi) ; nous avons des ennemis autour de cette forteresse (le diable, le monde). L’ennemi que nous portons dans notre cœur est particulièrement terrible. A cette chaîne de pensées s’ajoute, comme dernier anneau, le Graduel, qui décrit avec émotion la misère du pécheur : “ Les tribulations de mon cœur se sont étendues ; arrache-moi, Seigneur, de ma détresse. Contemple ma misère et mes peines et pardonne-moi tous mes péchés. “
b) A ce De profundis répond une voix claire qui vient du ciel : dans Epître et dans l’Évangile. Epître est tirée de la belle lettre aux Thessaloniciens. Les Thessaloniciens étaient une des communautés préférées de saint Paul ; la lettre est écrite avec un véritable amour maternel. Mais aujourd’hui, c’est notre Mère l’Église qui nous parle avec le même amour. Elle nous recommande et nous demande de mener une vie agréable à Dieu et de faire, de plus en plus, des progrès dans la vertu et la perfection. Elle nous dit une parole qui, pendant toute la semaine, doit retentir dans notre cœur : La volonté de Dieu, c’est que vous soyez saints. C’est là le but de la Rédemption, c’est la tâche de l’Église. Le Baptême, l’Eucharistie, la Confirmation, tous les moyens de salut tendent à ce but : nous rendre saints. Que veut dire cela : être saint ? Cela veut dire posséder la filiation divine, participer à la vie divine du Christ, passer de la grâce à la transfiguration. Nous sommes devenus saints par le Baptême, nous renouvelons sans cesse notre sainteté par l’Eucharistie. La sainteté est, en premier lieu, l’affaire de Dieu ; lui seul peut nous rendre et nous conserver saints. Mais, nous-mêmes, nous devons lui aplanir les voies. L’Épître nous indique deux de ces voies : la pureté et l’équité. L’âme que Dieu veut sanctifier doit être pure et chaste dans sa vie ; l’impureté détruit la sainteté. Mais Dieu demande aussi la justice et la vérité dans nos relations mutuelles. C’est encore un programme de réforme que l’Église nous présente. Cet avertissement de l’Église produit dans notre âme un double sentiment. D’abord, une nouvelle plainte (Graduel). Ah ! que je suis donc loin encore de l’idéal de l’Église ! Contemple, Seigneur, ma misère et ma peine. Cependant, nous triomphons de ce retour vers les profondeurs et nous louons Dieu, car il nous donne la grâce de remonter et d’atteindre à la sainteté. C’est pourquoi (dans le Trait) on entend ce joyeux cantique de louange : “ Heureux ceux qui observent son commandement et pratiquent la justice en tout temps ! “ Nous ne pouvons parvenir à la sainteté que par un seul, celui que nous attendons à Pâques, Jésus-Christ. C’est pourquoi le Trait conclut par cette prière : Visite-nous dans ta grâce. La réponse nous est donnée dans l’Évangile de la Transfiguration. Dans l’Évangile, le Christ veut nous dire : je vous conduirai à la sainteté et à la gloire que vous montre ma Transfiguration. Tel est le sens de l’Évangile.
c) Devant cet appel du ciel, pouvons-nous rester sourds ? L’Église a fait comme l’aigle qui entraîne ses petits vers le soleil. Que répondrons-nous à ces avances ? Un joyeux oui. A l’Offertoire, portons à l’autel notre obéissance et notre amour des commandements de Dieu : “ J’élève mes mains vers tes commandements que j’aime ardemment. ” Au Saint-Sacrifice, le Seigneur transfiguré paraît au milieu de nous ; dans la Communion, il s’unit à notre âme et la pénètre des rayons de sa gloire et de sa sainteté. Il est “ mon Roi et mon Dieu. ” L’Eucharistie nous donne, aussi, la force et la grâce de faire ce qui dépend de nous pour arriver à la sainteté et à la gloire, c’est-à-dire de “ servir Dieu dignement par une conduite qui lui plaise. ”
3. Lecture d’Écriture. — Pendant le Carême, le bréviaire, dans sa rédaction actuelle, ne contient pas, à part le dimanche, de lecture d’Écriture. Dans l’antiquité, on lisait, chaque jour, avec un grand zèle, les livres de Moïse. Nous n’en lisons plus que des fragments, le dimanche. Dans ces lectures, l’Église poursuit un but particulier. A partir de la Septuagésime, elle nous présente, chaque dimanche, un des grands Patriarches : Adam (Septuagésime), Noé (Sexagésime), Abraham (Quinquagésime), Jacob (2e dimanche de Carême), Joseph (3e dimanche de Carême), Moïse (4e dimanche de Carême). C’est Jacob que nous voyons paraître aujourd’hui. L’histoire sainte nous apprend comment, sur le conseil de sa mère Rébecca, il trompa son vieux père, Isaac, en se faisant passer pour son fils premier-né, Ésaü, et en captant ainsi la bénédiction de l’aîné (Gen. XXVII, 1-26). Nous ne rapporterons pas ici cette histoire, elle est trop connue. Nous en donnerons cependant une brève explication. Il faut distinguer, ici, deux choses : les desseins divins et l’action humaine. Il est certain que Dieu avait décidé que Jacob serait l’ancêtre du peuple élu et, par suite, du Messie. Ésaü, par sa conduite indigne, avait perdu ses droits à la bénédiction messianique. Cependant, la ruse, dont se servirent Rébecca et Jacob pour tromper Isaac, est blâmable. Dieu n’a pas besoin, pour exécuter ses desseins, des ruses et des mensonges des hommes. Cette faute fut cause, pour Jacob, de nombreux embarras ; il fallut que Dieu le purifiât par de nombreuses peines. Après être passé par le creuset de la souffrance, il nous apparaît, à la fin de sa vie, comme un noble et saint vieillard. Pour les Pères de l’Église, Jacob est le symbole du Christ : “ la peau de chevreau signifie les péchés ; quand Jacob couvre ses membres de cette peau, il annonce celui qui a porté non pas ses péchés, mais les péchés des autres. ”
4. A travers le jour. — L’image de la Transfiguration, selon l’esprit de l’Église, nous accompagne toute la journée et nous devons participer à cette transfiguration. A Laudes, l’Heure du lever du soleil, nous gravissons la sainte montagne comme disciples du Seigneur et nous assistons à sa Transfiguration. Les trois Heures suivantes veulent fixer ce moment sacré, elles nous font dire avec Pierre : Il est bon d’être ici ; bâtissons-y trois tentes. Nous sommes donc, de Prime à Sexte, tout pénétrés de la vision du Seigneur dans sa gloire. Ce n’est qu’avec le coucher du soleil que nous descendons de la montagne de la Transfiguration et que nous chantons, à None et à Vêpres, la parole du Seigneur que nous avons déjà chantée, hier, à Vêpres : “ Ne parlez à personne de la vision que vous avez vue, avant que le Fils de l’Homme ne soit ressuscité d’entre les morts. “ Que signifie cette parole mystérieuse dans notre bouche ? Est-ce une allusion à la fête de Pâques qui approche ? La liturgie veut-elle caractériser le dimanche comme un jour consacré à la Résurrection ? Le dimanche de la Transfiguration est-il une anticipation de la Résurrection du Seigneur ?
5. La Préface du Carême :

“ Car par le jeûne corporel
tu réprimes les vices,
tu élèves l’esprit
tu accordes la vertu
et les récompenses. ”

Voilà ce que nous chantons dans la Préface que l’Église nous fait réciter, tous les jours, depuis le mercredi des Cendres jusqu’au dimanche de la Passion. Dans ces quelques mots est renfermée toute la sagesse de l’Église au sujet de la valeur du jeûne.
Parlant par parabole, Saint Paul dit quelque part : “ Ce que l’homme sème, il le récoltera. Celui qui sème sur le champ de la chair récoltera sur le champ de la chair, il récoltera la chair périssable. Mais celui qui sème sur le champ de l’esprit, récoltera les fruits de l’esprit, la vie impérissable” (GaI. VI, 8). Que veut dire cette parabole ? Quand le paysan laboure son champ, le herse, l’ensemence, bref le prépare soigneusement, il est tout naturel qu’il récolte, de ce champ, les fruits qu’il en espère. Le résultat tient à deux choses : le sol et la semence. Le paysan ne peut recueillir dans son champ que ce qu’il a semé, il ne peut récolter du froment que s’il a semé du froment. Tout cela est évident.
Passons maintenant de la parabole à la réalité. L’homme a, lui aussi, deux champs qu’il doit cultiver. Saint Paul appelle le premier la chair et, par ce mot, nous pouvons entendre la nature humaine ou la vie terrestre. Il appelle l’autre l’esprit et nous pouvons y voir l’âme ou la vie surnaturelle. Or, il est clair que plus on cultivera l’un de ces champs et plus on en récoltera de fruits. Qu’un commerçant travaille jour et nuit, il peut espérer atteindre la fortune. Qu’un joueur de football s’entraîne pendant des semaines, il pourra arriver au championnat. Ce sont les fruits de ces champs terrestres. Si, par contre, un chrétien s’adonne à la pratique des vertus, aux bonnes œuvres, à la prière persévérante, etc., il arrivera à la sainteté : ce sont là les fruits du champ de l’âme.
Or, il peut arriver qu’un même homme cultive ardemment les deux champs, le champ terrestre et le champ spirituel ; il pourra, par exemple, être un virtuose du violon, un champion de sport, et, en même temps, un saint. Cela est possible et les catholiques ne peuvent que se réjouir quand ils voient un des leurs se distinguer dans tous les domaines de l’activité. Tout savant, tout artisan, tout artiste, tout sportif, qui est, en même temps, un bon chrétien, fait honneur à notre foi devant le monde.
Cependant, il y a certaines semences qui sont plus ou moins incompatibles, si bien que, lorsqu’on sème un champ, on fait tort à l’autre. Parlons d’une manière pratique. Quand quelqu’un cultive le champ de la chair, c’est-à-dire quand il s’adonne aux voluptés et aux jouissances de la vie, il récoltera les mauvaises habitudes et les passions ; il ne pourra renoncer à ses jouissances. Par contre, le champ de son esprit sera tellement appauvri qu’il restera en friche et dépérira. L’âme sera de plus en plus incapable de s’élever au-dessus de ce qui est terrestre. La situation se renversera dans l’autre cas. L’homme vertueux, qui vit entièrement dans le royaume de Dieu, perdra le goût des plaisirs sensuels et terrestres. Le champ de la chair restera en friche.
Je voudrais attirer l’attention sur ces relations mutuelles entre l’esprit et la chair. Le Sauveur en parle lui aussi : On ne peut pas servir deux maîtres si différents ou bien — pour rester dans la parabole — on ne peut pas cultiver deux champs si différents. De la culture ou de la négligence de l’un dépend, d’ordinaire, la négligence ou la culture de l’autre. C’est une relation interne.
Nous comprendrons mieux, maintenant, la Préface de Carême. Elle parle, elle aussi, de deux champs. A la vérité, elle s’occupe moins longtemps du champ de la chair que du champ de l’esprit. Elle nous dit que le jeûne a une grande influence sur la situation de ces deux champs. Le jeûne stérilise et fait dépérir le champ de la chair, mais il donne au champ de l’esprit l’aptitude à recevoir la semence et à la faire fructifier. Tel est, en résumé, le sens de la Préface, telle est la grande importance du jeûne.
Examinons encore de plus près. Il est dit : “ Par le jeûne, tu réprimes les vices. “ Sous le nom de vices, il faut entendre les péchés de la jouissance sensuelle défendue. Les jouissances terrestres sont unies entre elles, l’une favorise et développe l’autre. C’est un fait qu’on peut observer maintes fois dans la vie. Combien de jeunes gens ont perdu, dans l’ivresse, l’innocence de leur âme ! Les anciens disaient déjà : Bacchus (le dieu du vin) et Vénus (la déesse de la volupté) sont amis. D’autre part, la privation et la répression d’une jouissance sensuelle ont une efficacité salutaire pour nous aider à triompher d’une autre jouissance sensuelle et à y renoncer. C’est le cas du jeûne. La privation de nourriture et de boisson est une arme puissante contre les instincts de la chair et contre la prédominance de la sensualité en nous. Ainsi donc, même du point de vue naturel, c’est une vérité que le jeûne réprime les passions.
Nous pouvons déjà tirer une série de conséquences. C’est dans ces considérations que les adversaires de l’alcool trouvent leurs plus puissants arguments. Ils peuvent dire avec raison : l’abstinence de l’alcool vous permettra de réprimer vos vices. Combien de péchés et de vices sont imputables à l’usage immodéré de l’alcool ! Personne ne pourra affaiblir la force probante de cet argument.
C’est précisément le renoncement à une jouissance permise qui nous donne la force de renoncer à une jouissance défendue. On peut affirmer : Le jeûne (dans le sens large de privation des jouissances permises) est la meilleure éducation de la chasteté.
Or, la surnature bâtit sur la nature. Jusqu’ici, nous avons parlé des relations naturelles entre la chair et l’esprit. Maintenant, il nous faut penser aux deux royaumes : le royaume de Dieu et le royaume du diable ; ces deux royaumes s’élèvent sur les fondements naturels de la chair et de l’esprit. D’un seul coup, la parole de Jésus devient brillante comme un éclair : “ Cette espèce (de démon) ne se chasse que par la prière et le jeûne. “ Le jeûne est donc une affile puissante dans le combat contre l’enfer. L’éternelle Vérité le dit elle-même. Voilà qui nous fait comprendre le premier membre de phrase de notre Préface de Carême.
La suite résulte d’elle-même. Un vieux proverbe oit : Plenus venter non studet libenter (le ventre plein n’aime pas l’étude). L’abus dans les jouissances du boire et du manger diminue l’élasticité de l’esprit. Il faut aussi que le contraire soit vrai : Non plenus venter studet libenter (le ventre qui n’est pas plein aime l’étude). Passons de nouveau de la nature à la surnature et songeons aux relations réciproques de la chair et de l’esprit. L’abstinence des plaisirs des sens donne de l’élan à l’âme. Les jouissances sont comme un poids de plomb qui retient l’âme au sol. Si ce poids est enlevé, si ces jouissances sont écartées, l’âme peut s’élever vers les hauteurs célestes. Cela nous fait comprendre aussi la grande importance de la continence, de la chasteté et de la virginité, pour le royaume de Dieu. La jouissance des sens empêche le vol de l’âme et la chasteté nous rend aptes à voir Dieu. Le jeûne élève donc l’esprit et confère de la force à l’âme pour la pratique de la vertu et pour la vie sainte ; il nous aide, enfin, à conquérir la couronne de la gloire éternelle.
Le jeûne est donc un puissant moyen pour l’exercice et le développement de la vie chrétienne. Il nous aide dans le combat contre notre nature inférieure, il nous fait vaincre nos passions, il nous permet de nous élever vers Dieu, il nous donne la force de pratiquer la vertu et il nous promet la récompense éternelle. Cela nous explique pourquoi ce temps, qui est consacré au renouvellement de la grâce du baptême, à la réforme de la vie intérieure, est sanctifié par le jeûne.
Une dernière pensée. Examinons les deux Évangiles du dimanche. Dimanche dernier, nous avons vu le Seigneur combattre contre le démon après son jeûne de quarante jours ; aujourd’hui, nous le voyons transfiguré. Ces deux Évangiles ne sont-ils pas l’arrière-plan magnifique de notre Préface ?
Par le jeûne corporel, tu réprimes les vices (tentation du Christ), tu élèves l’esprit, tu confères la vertu et les récompenses (Transfiguration). »

Notes   [ + ]

1. Matth. XVI, 16.
2. I Cor. I, 23.
3. Matth. XXVI, 31.
4. Psalm. LXXXVIII, 13.
5. MATTH. XXVI, 38.
6. MATTH. XXVI, 43.
7. Psalm. XXI, 7.
8. ISAI. LIII, 4.
9. Apoc. V, 12.
10. I Cor. X. 13.