5e Dimanche après la Pentecôte – textes de la messe commentés

Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à ce dimanche (rite catholique traditionnel, tel que le suivaient nos aïeux), avec leur commentaire.

« Épître et évangile se rejoignent pour inculquer fortement le devoir de la charité fraternelle. Justiciables devant Dieu de tout manquement à l’égard de nos frères, jusque dans nos sentiments les plus secrets, nous devons savoir rendre le bien pour le mal et pardonner du fond du cœur, si nous voulons nous-mêmes trouver accès auprès de lui.

En ces dimanches après la Pentecôte, les pièces de chant sont presque toujours un pressant appel au secours de Dieu en même temps qu’une paisible assurance dans sa protection. Parmi les oraisons d’aujourd’hui, la collecte est particulièrement belle ; elle redit à la fois la grande espérance chrétienne et implore de Dieu la grâce d’y parvenir par la force d’un amour capable d’unifier et de soulever notre vie.  »

Dom G. Lefebvre

TEXTES AVEC COMMENTAIRE DE DOM GUÉRANGER
(dans l’Année liturgiquedisponible ici avec ses autres livres)

« Introït (Ps. 26, 7 et 9.) :
Exaucez, Seigneur, ma voix qui a crié vers vous : soyez mon aide, ne m’abandonnez pas, et ne me méprisez pas, ô Dieu, qui opérez mon Salut.
(Ps. ibid., 1.) Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrais-je ?

De même que Dimanche dernier, l’Église semble s’être plue à rattacher aux lectures de la nuit l’entrée du Sacrifice. L’Introït est tiré en effet du Psaume XXVI, composé par David à l’occasion de son couronnement dans Hébron. Il exprime l’humble et confiante supplication de celui à qui tout fait défaut ici-bas, mais dont le Seigneur est la lumière et la force. Dans les circonstances que nous avons rappelées, il ne fallait rien moins qu’une foi aveugle aux promesses divines pour soutenir le courage de l’ancien berger de Bethléhem et de la nation qui devenait son peuple. Mais comprenons en même temps que la royauté du fils de Jessé et de sa descendance, dans l’ancienne Jérusalem, représente pour l’Église une royauté plus sublime, une dynastie plus haute, qui sont la royauté du Christ et la succession des Pontifes.

Les biens promis à David comme récompense de ses combats n’étaient qu’une faible image de ceux qui attendent dans la patrie les vainqueurs du démon, du monde et de la chair. Rois pour jamais, ils goûteront sur leurs trônes la plénitude de ces délices enivrantes et glorieuses, dont l’Époux laisse parfois tomber quelques gouttes ici-bas sur les âmes fidèles. Aimons donc celui qui récompense ainsi l’amour ; et comme de nous-mêmes nous ne pouvons rien, demandons par l’Époux à l’auteur de tout don excellent [1]Jac. I, 17. la perfection de la divine charité.

Collecte :
Dieu, vous avez préparé des biens invisibles à ceux qui vous aiment : répandez dans nos cœurs le sentiment de votre amour ; afin que, vous aimant en toutes choses et par dessus toutes choses, nous obtenions un jour ces biens que vous nous avez promis et qui surpassent tous nos désirs.

ÉPÎTRE.
Lecture de l’Épître du Bienheureux Apôtre Pierre (I Petri 3, 8-15.) :
Mes bien-aimés : soyez tous unis dans la prière, compatissants, vous aimant en frères, miséricordieux, modestes, humbles : ne rendant point mal pour mal, ni malédiction pour malédiction ; mais au contraire, bénissant parce que c’est à cela que vous avez été appelés, afin de posséder la bénédiction en héritage. Que celui donc qui veut aimer la vie, et voir des jours bons, défende la langue du mal, et que ses lèvres ne profèrent point les paroles de tromperie. Qu’il se détourne du mal et fasse le bien ; qu’il cherche la paix et la poursuive ; parce que les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles à leurs prières ; mais la face du Seigneur est sur ceux qui font le mal. Et qui est-ce qui vous nuira, si vous avez le zèle du bien ? Et si même vous souffrez pour la justice, vous serez bienheureux. N’ayez donc aucune crainte d’eux : et ne vous en troublez point. Mais glorifiez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur Jésus-Christ.

L’Évangile nous faisait assister, il y a huit jours, au travail apostolique amenant du sein des eaux les pierres vivantes dont le Christ Jésus bâtit son Église. Aujourd’hui c’est le chef de la pêche mystérieuse, Simon fils de Jean, qui, prenant la parole dans notre Épître, s’adresse aux éléments divers qui doivent former la cité sainte, matériaux sacrés rassemblés du fond des abîmes pour resplendir désormais comme autant de perles brillantes à l’admirable lumière du Sauveur des saints [2]I Petr. II, 9.. Le Fils de Dieu, en effet, n’est point venu des cieux dans un autre but que de fonder sur terre une ville merveilleuse où Dieu lui-même pût habiter dignement [3]Apoc. XXI, 2-3., que d’élever à son Père un temple incomparable où la louange et l’amour, s’exhalant sans fin des pierres mêmes qui composeraient ses murs, désignassent noblement l’enceinte du grand Sacrifice [4]I Petr. II, 4-3.. Lui-même s’est fait le fondement de l’édifice trois fois saint où doit brûler l’holocauste éternel [5]Ibid. 6-7. ; et cette qualité de fondement du nouveau temple, il l’a communiquée à Simon son vicaire [6]Matth. XVI, 18., voulant que ce titre de Pierre, devenu le nom unique de son représentant ici-bas, rappelât jusqu’au dernier jour à tous les siens l’unique but de ses divins travaux. Écoutons avec une reconnaissance respectueuse, de la bouche même du vicaire de l’Homme-Dieu, les avis pratiques qui découlent pour nous de cette grande vérité ; et suivons pieusement la sainte Église qui, en cette saison dominée sur le Cycle sacré par l’astre radieux du prince des Apôtres, ramène sans cesse ses fils vers le pasteur et l’évêque de leurs âmes [7]I Petr. II, 25..

L’union d’une vraie charité, la concorde et la paix à maintenir à tout prix comme condition de leur félicité présente et future : tel est l’objet des recommandations adressées par Simon devenu Pierre à ces autres pierres choisies qui s’appuient sur lui, et forment les assises du temple élevé par le Fils de l’homme à la gloire du Très-Haut. La solidité et la durée des palais de la terre eux-mêmes ne dépendent-elles pas, en effet, de l’union plus ou moins persistante et intime des matériaux qui les composent ? C’est l’union encore qui fait la force et la splendeur des mondes ; vienne à cesser l’attraction mutuelle qui harmonise leurs mouvements dans un vaste concert, vienne à se briser pour chacun d’eux la cohésion qui lie leurs atomes, et l’univers ne sera plus qu’une poussière ténébreuse, impalpable et sans nom. Le Créateur a fait régner dans les célestes sphères une concorde admirable [8]Job. XXV, 2., et lui-même il s’écrie : « Qui donc endormira le concert des cieux [9]Ibid. XXXVIII, 37. ? » Et cependant, de même que la terre périra dans sa forme présente, les cieux aussi passeront comme un vêtement usé [10]Psalm. CI, 26-28.. Quel sera donc l’élément de stabilité, le ciment sans pareil du palais préparé pour demeure au Dieu dont les mondes se déclareront impuissants à porter la durée ? Car l’Église alors même restera stable, embaumant sans fin des parfums de l’Époux le trône de la Trinité souveraine établi dans ses murs.

C’est à l’Esprit sanctificateur qu’ici encore il appartient de nous expliquer le mystère de cette union qui fait la cité sainte [11]Psalm. CXXI, 3., et dont la persévérance défie les siècles. La charité versée dans nos cœurs au sortir des eaux est empruntée à l’amour même qui règne au sein de l’adorable Trinité ; car les opérations de l’Esprit dans les saints n’ont point d’autre but que de les faire entrer en participation des divines énergies. Devenu la vie de l’âme régénérée, le feu divin la pénètre de Dieu tout entière ; il communique à son amour créé et fini la direction et la puissance de la flamme éternelle. Le chrétien doit donc aimer comme Dieu désormais ; la charité n’est vraie en lui qu’autant qu’elle atteint, dans la simplicité de sa flamme divine, l’objet complet de l’amour infini. Or tel est l’ineffable commerce d’amitié véritable établi par l’ordre surnaturel entre Dieu et ses créatures intelligentes, qu’il daigne les aimer de l’amour dont il s’aime lui-même ; la charité doit donc embrasser elle aussi, dans l’unité de ses actes d’amour, non seulement Dieu, mais tous les êtres appelés par lui en participation de sa vie bienheureuse. Comprenons maintenant l’incomparable puissance de l’union dans laquelle l’Esprit-Saint établit l’Église : rien d’étonnant que ses liens soient plus forts que la mort, sa cohésion plus résistante que l’enfer [12]Cant. VIII, 6. ; car le ciment qui joint les pierres vivantes de ses murailles possède la force de Dieu même et la stabilité de son amour éternel. L’Église est bien cette tour bâtie sur les eaux, qui apparut à Hermas formée de pierres resplendissantes et si intimement assemblées, que l’œil ne découvrait point leurs jointures [13]Herm. Past. L. I, Visio III, 2..

Mais comprenons aussi l’importance pour tous les chrétiens de l’union mutuelle, de cet amour des frères, si fréquemment, si fortement recommandé par la voix des Apôtres, ces coopérateurs de l’Esprit dans l’édification de la sainte Église. L’abstention du schisme et de l’hérésie, dont l’Évangile rappelait, il y a huit jours, les excès désastreux, la répression même des passions haineuses ou des aigreurs jalouses, ne suffiraient point à faire de nous des pierres utiles dans ce grand œuvre ; il y faut un amour effectif, dévoué, persévérant, qui joigne véritablement et harmonise comme il convient les âmes et les cœurs ; il y faut cette charité débordante et seule digne de ce nom qui, nous montrant Dieu même en nos frères, fait vraiment nôtres leur bonheur et leurs maux. Loin de nous la somnolence égoïste où se complaît l’âme paresseuse, où trop souvent des âmes faussées croient satisfaire d’autant mieux à la première des vertus qu’elles se désintéressent plus complètement de ce qui les entoure. Sur de telles âmes le ciment divin ne peut avoir prise : pierres impropres à toute construction, que rejette le céleste ouvrier, ou qu’il laisse sans emploi au pied des murailles, parce qu’elles ne s’adaptent pas à l’ensemble et ne sauraient s’appareiller. Malheur à elles cependant, si l’édifice s’achève sans qu’elles aient mérité de trouver place en ses murs ! Elles comprendraient alors, mais trop tard, que la charité est une, que celui-là n’aime pas Dieu qui n’aime pas son frère [14]I Johan. IV, 21., et que celui qui n’aime pas demeure dans la mort [15]Ibid. III, 14.. Plaçons donc, avec saint Jean, la perfection de notre amour pour Dieu dans l’amour de nos frères [16]Ibid. IV, 12. : alors seulement nous aurons Dieu en nous [17]Ibid. ; alors seulement nous pourrons jouir des ineffables mystères de l’union divine avec Celui qui ne s’unit aux siens que pour faire de tous et de lui-même un temple auguste à la gloire de son Père.

Le Graduel, rentrant dans l’ordre d’idées qui inspire l’Introït du jour, demande la protection divine pour le peuple rangé sous le sceptre de l’oint du Seigneur. Le Verset annonce les victoires du Christ roi, et le salut qu’il apporte à la terre.

Graduel (Ps. 83, 10 et 9.) :
O Dieu, notre protecteur, considérez et jetez un regard sur vos serviteurs.
Seigneur, Dieu des armées, exaucez les prières de vos serviteurs.
Alléluia, alleluia.
(Ps. 20, 1) V/. Seigneur, le roi se réjouira dans votre force : et il tressaillira d’une vive allégresse parce que vous l’aurez sauvé. Alléluia.

ÉVANGILE.
Suite du Saint Évangile selon saint Mathieu (Matth. 5, 20-24.) :
En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : si votre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point ; mais qui tuera sera justiciable du tribunal. Et moi, je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère [à la légère] sera justiciable du tribunal ; et qui dira à son frère : Raca ! sera justiciable du Sanhédrin ; et qui lui dira : Fou ! sera justiciable pour la géhenne du feu. Si donc tu viens présenter ton offrande à l’autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; et alors viens présenter ton offrande.

Les jours s’écoulent rapidement pour l’ancienne Jérusalem ; dans moins d’un mois, la ruine affreuse de la cité qui ne connut point le temps de la visite de son Seigneur [18]Luc. XIX, 44., aura passé sous nos yeux. C’est au neuvième Dimanche après la Pentecôte, dans ces mois de juillet et d’août qui virent sous Vespasien les dernières convulsions du peuple déicide, que la sainte Liturgie a placé la mémoire de ce terrible accomplissement des prophéties du Sauveur. En attendant, l’ancien temple, toujours debout, continue de fermer aux nations ses portes intérieures, et prétend retenir encore la Divinité sous les voiles du vieux Testament, dans son sanctuaire impénétrable aux fils mêmes d’Israël. Depuis cinq semaines déjà cependant, l’Église a commencé d’élever en Sion ses immortelles assises. En face du monument de l’alliance restreinte et imparfaite du Sinaï, l’Esprit-Saint l’a fondée comme le rendez-vous de l’allégresse de la terre entière [19]Psalm. XLVII, 3., comme la ville du grand Roi, où tous désormais connaîtront Dieu [20]Jerem. XXXI, 34. ; aussi n’a-t-elle cessé de se montrer à nous, depuis le commencement, comme le lieu des délices de la Sagesse éternelle [21]Prov. VIII, 31 ; IX. 1. et le vrai sanctuaire de l’union divine.

La loi de crainte et de servitude [22]Rom. VIII, 15. est donc définitivement abrogée par la loi d’amour. Un reste d’égards pour l’institution autrefois agréée, qui fut la dépositaire des oracles divins [23]Ibid. III, 2., laisse encore à la première génération des convertis de Juda la libre observation des coutumes de leurs pères ; mais cette tolérance doit elle-même disparaître avec le temple, dont la chute prochaine scellera pour jamais le tombeau de la synagogue. Dès maintenant, les prescriptions du code mosaïque ne suffisent plus à justifier devant Dieu les enfants de Jacob. Les ordonnances rituelles, qui avaient pour but d’entretenir par un ensemble de représentations figuratives l’attente du Sacrifice à venir, ont perdu leur objet depuis l’accomplissement des mystères qu’elles annonçaient. Les commandements eux-mêmes du décalogue, ces lois nécessaires qui sont de tous les temps et ne peuvent changer, parce qu’elles tiennent à l’essence des rapports existants entre les créatures et leur auteur, ont brillé d’un éclat si nouveau sous les feux du Soleil de justice, que leur portée s’en est trouvée, pour la conscience humaine, immensément agrandie.

Indépendamment du précepte positif concernant le fruit de l’arbre de la science, l’homme, dans Éden, avait reçu de Dieu, en même temps que la vie, la connaissance de ces lois éternelles. Cette connaissance depuis lors, il n’aurait pu s’en dégager ou la perdre entièrement, sans cesser d’être homme ; car elle lui avait été donnée comme son être lui-même, comme la règle naturelle de ses jugements pratiques, et elle formait ainsi, pour une part, sa raison même. Mais la raison de l’homme s’étant obscurcie grandement par le fait de la chute, l’ombre désastreuse gagna dans son âme jusqu’à la notion, d’abord si complète et si claire, des obligations morales résultant pour lui de sa propre nature. La malice de la volonté dépravée, mettant à profit d’autre part cet affaiblissement originel de la raison, accrut bientôt en d’effrayantes proportions des ténèbres qui favorisaient ses excès. On vit les peuples, victimes volontaires ou insouciantes d’aberrations étranges, régler leurs mœurs sur des maximes faussées, tellement contraires parfois aux principes de la plus élémentaire morale, que nos générations redressées par la foi se refusent à y croire. Les descendants des patriarches, préservés plus que d’autres par la bénédiction donnée à leurs pères, furent loin toutefois d’échapper entièrement à l’universelle déviation. Lorsque Moïse, envoyé par Dieu, les constitua en corps de nation sur la base même de la fidélité à cette loi écrite qui venait restaurer la loi de nature, plus d’un point que le libre essor de cette dernière eût réclamé dut rester dans l’ombre ; le Seigneur nous l’apprend, Moïse fut obligé d’accorder quelque chose à la dureté de leur cœur [24]Matth. XIX, 8.. Il ne put faire surtout qu’après sa mort, les docteurs privés et les sectes particulières qui s’élevèrent dans la nation n’arrivassent à corrompre, sous l’effort de vaines traditions et d’interprétations erronées, l’esprit, sinon toujours la lettre même de la loi du Sinaï.

La loi de Dieu, revêtant pour le Juif le caractère d’une charte nationale, était placée en cette qualité sous la sauvegarde du pouvoir public ; des tribunaux, plus ou moins élevés suivant l’importance des causes qui leur étaient déférées, jugeaient les infractions commises ou les crimes accomplis contre elle. Mais, en dehors du tribunal sacré de la loi de grâce où Dieu même agit et parle en la personne du prêtre, tout jugement exercé par des hommes, si imposante que soit leur autorité, ne saurait avoir pour objet que des faits extérieurs ; Moïse, dans sa législation, n’avait donc point assigné de sanction pénale pour ces fautes intimes de la conscience, qui, toutes graves qu’elles puissent être, échappent néanmoins, par leur nature, à l’appréciation comme à la connaissance des sociétés et des pouvoirs humains qui les régissent. C’est ainsi qu’aujourd’hui, l’Église elle-même n’applique point ses censures aux crimes de l’âme qui ne se manifestent pas dans un acte quelconque tombant sous les sens ; comme Moïse l’avait fait, sans mettre en doute la culpabilité des pensées ou désirs criminels, elle laisse à Dieu le jugement de causes dont lui seul peut connaître.

Mais s’il n’est personne aujourd’hui, parmi les enfants de l’Église, qu’une distinction si simple et si conforme à la nature de tout droit social puisse induire en erreur, il n’en fut pas de la sorte au sein du peuple hébreu. Longtemps la voix des prophètes s’évertua sans relâche à porter au delà du monde présent la pensée alourdie de cette race si gratuitement privilégiée ; mais alors même l’esprit étroit, exclusif, de la nation ne put jamais se faire à l’idée que les principes divinement inspirés de sa constitution politique et la forme extérieure de sa législation recouvrissent une réalité immatérielle, bien autrement vivante et profonde. Aussi lorsque, peu après le retour de la captivité, les derniers représentants du ministère prophétique, disparaissant, laissèrent le champ libre à l’éclosion de systèmes en rapport avec ces tendances mesquines, les casuistes Juifs eurent bientôt trouvé la formule de cette morale étrange des circoncis, dont saint Paul nous apprend qu’elle faisait le scandale des nations [25]Rom II, 24.. Confondant le domaine intime de la conscience avec le théâtre forcément restreint de la justice publique, ils apprécièrent les obligations du for intérieur à la mesure des règles établies pour guider cette dernière, et s’habituèrent promptement, dans cette voie, à n’estimer que ce qui était vu des hommes, à négliger tout ce qui ne tombe pas sous les yeux. L’Évangile est rempli des malédictions du Sauveur contre ces guides aveugles étouffant sous l’écorce de la lettre, dans les âmes qu’ils prétendent conduire, la loi, la justice et l’amour ; l’Homme-Dieu dénonce en toute occasion, il flagelle, il flétrit sans pitié ces Scribes et ces Pharisiens hypocrites purifiant sans fin le dehors du vase, et pleins au dedans d’impureté, d’homicide et de rapine [26]Matth. XXIII, etc..

Le Verbe divin descendu pour sanctifier les hommes dans la vérité, c’est-à-dire en lui-même [27]Johan. XVII, 17, 19., devait en effet rendre avant tout leur splendeur première, ternie par le temps, aux immuables principes de justice et de droit qui reposent en lui comme en leur centre. C’est ce qu’il fit tout d’abord et avec une solennité incomparable, après l’appel de ses disciples et l’élection des douze, dans le passage du Sermon sur la montagne où l’Église a choisi l’Évangile de ce jour. En cela il venait, déclarait-il, non point condamner ou détruire la loi [28]Matth. V, 17., mais rétablir contre les Scribes et les Pharisiens son vrai sens, et lui donner cette plénitude que les anciens du temps de Moïse eux-mêmes n’avaient pu porter. Il faut lire en entier, dans saint Matthieu, cet important passage dont les explications qui précèdent suffiront à donner l’intelligence.

Dans les quelques lignes que l’Église en a empruntées, la pensée du Sauveur est qu’on ne doit point estimer à la mesure des tribunaux d’ici-bas le degré de justice nécessaire à l’entrée du royaume des cieux. La loi juive déférait l’homicide au tribunal criminel dit du jugement ; et lui, le Maître et l’auteur de la loi, il déclare que la colère, ce premier pas vers l’homicide, fût-elle restée dans les replis les plus secrets de la conscience, peut amener à elle seule la mort de l’âme, encourant ainsi véritablement, dans l’ordre spirituel, la peine capitale réservée dans l’ordre social de la vie présente à l’homicide accompli. Si, sans même en venir aux coups, cette colère s’échappe en paroles méprisantes, comme l’expression syriaque de raca, homme de rien, la faute devient si grave, qu’appréciée à sa valeur réelle devant Dieu, elle dépasserait la juridiction criminelle ordinaire pour ne relever que du conseil suprême de la nation. Si du mépris on passe à l’injure, il n’est plus rien dans la gradation des procédures humaines qui puisse donner une idée de l’énormité du péché commis. Mais les pouvoirs du juge souverain ne s’arrêtent point, comme ceux des hommes, à une limite donnée : la charité fraternelle, foulée aux pieds, trouvera toujours au delà du temps son vengeur. Tant est grand le précepte de la sainte dilection qui unit les âmes ! Tant s’oppose directement à l’œuvre divine la faute qui, de près ou de loin, vient compromettre ou troubler l’harmonie des pierres vivantes de l’édifice qui s’élève ici-bas, dans la concorde et l’amour, à la gloire de l’indivisible et pacifique Trinité !

A mesure que les années se succèdent pour le peuple élu, il comprend toujours mieux son bonheur d’avoir choisi les vrais biens pour la part de son héritage. Avec son Roi, dans l’Offertoire, il chante les célestes faveurs et la présence continue du Dieu qui s’est fait son soutien.

Offertoire (Ps. 15, 7 et 8.) :
Je bénirai le Seigneur qui m’a donné l’intelligence : je prenais soin d’avoir toujours le Seigneur devant mes yeux : car il est à ma droite, pour que je ne sois pas ébranlé.

Demandons à Dieu, dans la Secrète, qu’il daigne recevoir favorablement, en guise des anciennes oblations, l’offrande de nos cœurs. Mais si nous voulons que cette prière ait son effet, rappelons-nous la recommandation qui termine l’Évangile du jour : les cœurs de ceux-là seuls seront agréés du Très-Haut qui sont en paix, autant du moins qu’il dépend d’eux, avec tous leurs frères.

Secrète :
Laissez-vous fléchir, Seigneur, par nos supplications : et recevez avec bonté ces offrandes de vos serviteurs et de vos servantes ; afin que, ce que chacun a offert en l’honneur de votre nom, profite à tous pour le salut.

Préface de la Sainte Trinité

Communion (Ps. 26, 4.) :
Il est une chose que j’ai demandé au Seigneur, et je la rechercherai uniquement : c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie.

La secourable présence de Dieu, que célébrait l’Antienne de l’Offertoire, ne marquait point le terme des divines condescendances. Conquis par l’amour infini dans l’ineffable union des Mystères sacrés, le peuple saint ne désire plus, ne demande plus que d’être admis à se fixer pour jamais dans la maison du Seigneur.

L’effet des sacrés Mystères est multiple : ils purifient jusqu’aux retraites les plus cachées des âmes, et nous protègent au dehors contre les embûches dressées sur la voie du salut. Disons donc avec l’Église, dans la Postcommunion :
Accordez, nous vous en prions, à ceux que vous avez rassasiés du don céleste, que nous soyons purifiés de nos fautes cachées, et délivrés des embûches de nos ennemis.

Voici l’Antienne des premières Vêpres et les Répons qui concordent avec les lectures de l’Office de la nuit.

ANTIENNE ET RÉPONS.

Ant. au Magnificat
Montagnes de Gelboé, que la rosée ni la pluie ne descendent point sur vous ; car c’est là qu’a été jeté le bouclier des forts, le bouclier de Saul, comme si l’huile sainte n’eût point marqué son front. Comment les forts sont-ils tombés dans le combat ? Jonathas a été tué sur les hauteurs ; Saül et Jonathas, aimables et beaux durant leur vie, n’ont point non plus été divisés dans la mort.

R/. Montagnes de Gelboé, que la rosée ni la pluie ne viennent jamais sur vous : * Où sont tombés les forts d’Israël.
V/. Que toutes les montagnes alentour soient visitées du Seigneur, mais qu’il s’éloigne de Gelboé. * Où sont tombés.
R/. Je t’ai pris dans la maison de ton père, dit le Seigneur, et je t’ai choisi pour paître le troupeau de mon peuple : * Partout j’ai accompagné tes démarches, affermissant pour jamais ton règne.
V/. J’ai rendu ton nom illustre, autant que le nom des grands de la terre ; et je t’ai donné le repos sur tous tes ennemis.

Faisons suivre de deux Oraisons de l’Église de Milan pour ce jour. — Dans la Liturgie ambrosienne, après l’Introït ou Ingressa suivi de l’Hymne angélique ou de Prières selon les temps, vient l’Oraison super populum répondant à notre Collecte. Puis se succèdent une Leçon de l’Ancien Testament et les versets de son Psalmellus, l’Épître et (en dehors du Carême) le Verset alléluiatique, l’Évangile et une Antienne post Evangelium. Alors, et avant d’enlever le voile du calice, se dit l’Oraison super sindonem, suivie de l’Offertoire, du Credo, de l’Oraison super oblata et de la Préface. Avant le Pater a lieu la fraction de l’hostie, accompagnée du Confractorium ; notre Communion s’appelle Transitorium, et précède l’Oraison post Communionem.

ORATIO SUPER POPULUM.
Omnipotens sempiterne Deus, in protectione fidelium populorum antiqua brachii tui operare miracula : ut hostibus nostris tua virtute compressis, secura tibi serviat Catholica fides et devotio. Per Dominum. Dieu tout-puissant et éternel, renouvelez pour la protection des peuples fidèles les antiques miracles de votre bras ; afin que nos ennemis étant comprimés par votre vertu, la foi et dévotion Catholique vous serve sans trouble. Par Jésus-Christ.
ORATIO SUPER SINDONEM.
Deus, qui creaturæ tuæ misereri potius eligis quam irasci, cordis nostri infirma considera : et tuæ nos gratia pietatis illustra. Per Dominum. O Dieu, qui à l’égard de votre créature préférez user plutôt de miséricorde que de colère ; considérez l’infirmité de notre cœur, et éclairez-nous par la grâce de votre bonté. Par Jésus-Christ.

Enfin, dans le sens des enseignements de l’Épître et de l’Évangile, la belle formule que nous allons emprunter au Missel gothique clora dignement cette journée.

AD PACEM.
Deus, cui summum sacrificium est concordans anima : cui holocaustum pinguissimum est placata et pura conscientia ; concede nobis, quæsumus : ut conjunctio labiorum copula efficiatur animarum ; et ministerium osculi perpetuuæ proficiat charitati. Per Dominum. Dieu pour qui le sacrifice suprême est une âme bien accordée, pour qui le plus gras holocauste est une conscience paisible et pure ; faites, nous vous en supplions, que le rapprochement des lèvres soit l’union des âmes, et que le rit du saint baiser profite à l’amour éternel. Par Jésus-Christ.

Source Introibo

Notes   [ + ]

1. Jac. I, 17.
2. I Petr. II, 9.
3. Apoc. XXI, 2-3.
4. I Petr. II, 4-3.
5. Ibid. 6-7.
6. Matth. XVI, 18.
7. I Petr. II, 25.
8. Job. XXV, 2.
9. Ibid. XXXVIII, 37.
10. Psalm. CI, 26-28.
11. Psalm. CXXI, 3.
12. Cant. VIII, 6.
13. Herm. Past. L. I, Visio III, 2.
14. I Johan. IV, 21.
15. Ibid. III, 14.
16. Ibid. IV, 12.
17. Ibid.
18. Luc. XIX, 44.
19. Psalm. XLVII, 3.
20. Jerem. XXXI, 34.
21. Prov. VIII, 31 ; IX. 1.
22. Rom. VIII, 15.
23. Ibid. III, 2.
24. Matth. XIX, 8.
25. Rom II, 24.
26. Matth. XXIII, etc.
27. Johan. XVII, 17, 19.
28. Matth. V, 17.